Nature, traumatisme complexe, essais randomisés contrôlés et connaissances des suicides routiers #59

Une confiance relative dans les chercheurs - Le PTSD complexe est-il un mythe ? - L’insertion professionnelle des docteurs en 2020 - Les essais randomisés contrôlés ne servent à rien ? - En Europe les associations de patients reçoivent beaucoup d'argent - En savons-nous assez pour réduire les suicides dans le trafic routier ?

Psycho Papers
6 min ⋅ 02/07/2025

Il y a une semaine et demie, j’ai été opéré et mis en arrêt pour un mois et demi. Pour cette raison, il n’y aura exceptionnellement pas de partie pour les abonnés, cette newsletter et probablement aussi la newsletter suivante. Je vais la remplacer par “les petites news”.

Une confiance toute relative dans les chercheurs

Cet article a été rédigé pendant la campagne Biden/Trump et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a pas super bien vieilli. Et dire que c’était il y’y a pas si longtemps. Pour rappel, depuis, Trump a qualifié le journal Nature de Woke suite à une étude pas du tout publiée dans Nature, mais dans Nature Human Behavior, puis a coupé l’accès institutionnel à Springer (l’éditeur de Nature) pour économiser des dizaines de millions de dollars selon lui. Des personnes dont je n’ai pas vérifié les sources indiquent que pour l’instant, ça serait seulement 3 millions de dollars d’économie.

L’auteur de cette étude a réparti au hasard des participants parmi 4000 répondants pour recevoir des informations sur le fait que le journal scientifique Nature a soutenu les actions de Joe Biden pendant la pandémie de COVID-19.

Le fait que Nature ait promu les actions de Biden a provoqué une forte réduction de la confiance déclarée en Nature parmi les partisans de Trump.

Cette méfiance a fait baisser la demande d'informations liées à la COVID fournies par Nature, ce qui a d’ailleurs été confirmé par la réduction des demandes d’articles de Nature sur l'efficacité des vaccins lorsqu'ils sont proposés.

L'approbation a également réduit la confiance des partisans de Trump dans les scientifiques en général.

Chez les supporters de Trump (en rouge), le fait d’avoir donné l’information sur Nature a largement augmenté le fait que les participants disent que les éditeurs de Nature sont mal informés (le rouge foncé est plus à gauche que le rouge clair). Pour les supporters de Biden, les résultats sont similaires entre les groupes clairs et foncés.

À l’inverse, les effets estimés sur l’augmentation de confiance des partisans de Biden dans Nature et les scientifiques étaient positifs, faibles, mais pour la plupart statistiquement non significatifs. Il n’y avait pas de preuves que l'approbation de Nature ait changé les opinions sur Biden et Trump.

Ces résultats suggèrent que l'approbation politique par les revues scientifiques peut miner et polariser la confiance du public dans les revues qui les approuvent et la communauté scientifique.

Zhang, F.J. Political endorsement by Nature and trust in scientific expertise during COVID-19. Nat Hum Behav 7, 696–706 (2023). https://doi.org/10.1038/s41562-023-01537-5


Le trouble de stress-post-traumatique complexe est-il un mythe ?

L'ajout du CPTSD en tant qu'entité diagnostique dans la CIM-11 a été controversé, en partie à cause des tentatives de reconceptualiser certains patients atteints de trouble de la personnalité limite (TPL) comme étant atteints de CPTSD. Une récente revue de la littérature a conclu que le TPL reste nécessaire car, contrairement aux CPTSD, il existe des TPL sans traumatisme.

De plus, il semble y avoir des cas de CPTSD qui ne se chevauchent pas avec le TPL, mais en pratique, le diagnostic CPTSD est souvent utilisé pour éviter le diagnostic de TPL, un trouble stigmatisé en psychiatrie.

Bien que de nombreux patients atteints de TPL aient des antécédents de traumatisme, la négligence émotionnelle s'est avérée être le facteur de risque psychologique le plus courant dans son diagnostic.

Un autre problème conceptuel dans la construction de la CPTSD lorsqu'elle est appliquée aux patients atteints de TPL est qu'elle ne tient pas compte du dysfonctionnement fondamental de la personnalité, qui est le noyau central de ce trouble. Il y a des patients atteints de TPL qui ont été gravement et à plusieurs reprises traumatisés, mais ils sont minoritaires.

De ce fait, comme ce nouveau diagnostic de trouble de stress-post-traumatique complexe est très lié au TPL et au trouble de stress post-traumatique, il n'est pas clair si ce qu'on appelle maintenant CPTSD est autre chose que des traits borderline comorbides avec le trouble de stress post-traumatique (simple) – c'est-à-dire la présence des deux troubles chez le même patient – ce qui ne justifie peut-être pas de donner un nouveau nom à ce lien.

Les patients atteints de troubles limites provoquent des réactions négatives chez de nombreux cliniciens. Ils peuvent être impulsifs et antagonistes, et vouloir se mettre en danger et faire des tentatives de suicide. De ce fait, il y a un fort stigmate de ce trouble chez les psychologues et psychiatres.

Il est possible que le changement du diagnostic en CPTSD puisse être un moyen d'atténuer l’appréhension du clinicien autour du traitement. En effet, un diagnostic de CPTSD permet de considérer le patient comme une victime passive et impuissante d'un traumatisme passé qui ne contribue pas à sa souffrance continue. Le clinicien, à son tour, devient une sorte de sauveteur héroïque, capable de sauver le patient du traumatisme. Ce n’est pas le cas avec un trouble limite, le clinicien se trouvant coincé face à une personne instable, dangereuse pour elle-même et les autres, et sans attachement à la thérapie.

Lorsque des patients atteints de TPL sont diagnostiqués à tort avec le CPTSD, la recommandation de traitement est généralement une thérapie générique axée sur le traumatisme. Étant donné que ces approches n'ont pas d'efficacité établie dans le traitement du TPL – et qu'un nombre important de patients atteints de TPL n'ont pas d'antécédents de traumatisme discernables – une telle recommandation de traitement peut être totalement insuffisante pour gérer l'état du patient.

Plus d’informations ici : https://www.psychiatrictimes.com/view/borderline-personality-disorder-and-complex-posttraumatic-stress-disorder-myths-in-diagnosis


L’insertion professionnelle à un an des docteurs diplômés en 2020

En France, un an après leur thèse, 89 % des docteurs diplômés en 2020 sont insérés professionnellement et 72 % travaillent dans la recherche publique ou privée. C’est pas mal !

https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/l-insertion-professionnelle-un-des-docteurs-diplomes-en-2020-97466


Les essais randomisés contrôlés ne servent donc à rien

C’est la triste conclusion de l’étude publiée dans JAMA comparant les effets de traitement dans les essais randomisés contrôlés et les essais nnon randomisés

Les chercheurs ont testé 2746 études de 346 méta-analyses, et comparent les effets entre ces études pour évaluer s’ils sont semblables ou non. Leur résultat se trouvant dans le graphique suivant :

On s’attend, s’il y a un lien positive à ce que toutes les études se trouvent aux extrémités bas à gauche (quand un essai randomisé contrôlé trouve un effet fort positif, l’essai non randomisé le trouve aussi) et haut à droite (quand un essai randomisé contrôlé trouve un effet fort négatif, l’essai non randomisé le trouve aussi).

On observe dans le cadrant en bas à gauche que très peu d’études randomisées comme non randomisés trouvent des effets bénéfiques, et très peu d’études dans le cadrant haut à droite trouvent d’effets négatifs. En fait, dans la plupart des cas, les études randomisées n’ont aucun lien avec les études non-randomisées. Pire, dans 37% des cas, elles donnent des effets opposés (ils sont dans le cadrant bas-droite).

La seule raison pouvant expliquer ce résultat n’est pas que les essais randomisés contrôlés ne servent à rien en tant que tel, c’est le fait que les chercheurs cachent des résultats négatifs pour ne publier que des résultats significatifs, biaisant totalement la littérature associée aux essais randomisés contrôlés.

Source : Salcher-Konrad, M., Nguyen, M., Savović, J., Higgins, J. P. T., & Naci, H. (2024). Treatment Effects in Randomized and Nonrandomized Studies of Pharmacological Interventions. JAMA Network Open, 7(9), e2436230. https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2024.36230

Ps : Si vous vous intéressez au fonctionnement des essais randomisés contrôlés, je prépare une série de posts Instagram sur les inférences causales pour le mois de juillet. n’hésitez pas à vous abonner !


En Europe les associations de patients ont reçu 110 millions d’euros en 2022

C’est le résultat d’une enquête de Luke Taylor pour BMJ. Il détaille : ces payements proviennent des 33 plus grosses entreprises incluant Pfizer, Novo Nordisk, AstraZeneca etc… et pour plus de 3000 associations de patient. Près d’un quart de cette somme est allée à des associations de patients anglo-saxons.

Des experts ont déclaré à Investigate Europe que le financement pourrait être à l'origine de nombreux conflits d'intérêt, car certaines associations de patients font pression pour obtenir l'accès à certains médicaments et sont majoritairement financées par les producteurs de médicaments. « Ce financement est utilisé par les entreprises pharmaceutiques pour atteindre leurs objectifs de vente de médicaments », indique Margaret McCartney, docteure étudiant les conflits d’intérêt en médecine.

Source : Taylor, L. (2024). Patient groups in Europe received €110m from drug companies in 2022. BMJ, q2117. https://doi.org/10.1136/bmj.q2117

À noter que dans quelques newsletters, je vais vous parler d’un cas de conflit d’intérêt d’une association de patients Francais : l’association FondaMental. Si vous voulez vous faire spoiler, voici le lien : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2666560325000763


En savons-nous assez pour réduire les suicides dans le trafic routier ?

Une méta-analyse de 48 articles s’intéresse aux possibilités de prévenir le suicide routier.

Malheureusement, presque aucune de ces études ne s’est intéressé aux raisons pour lesquelles des personnes ont choisi de se suicider de cette manière. En fait, il n’y a qu’une seule étude sur ce sujet (ici).

La principale difficulté de ces études est de reconnaitre l’intentionnalité et les motivations autodestructrices dans l’investigation des accidents de voiture. Un cas a permis, grâce à des caméras à l’avant de la voiture, de requalifier un accident avec un piéton en suicide volontaire du piéton (ici). Le système de classification du suicide reconnait ce type de suicide au Royaume-Uni depuis 2017, en Suède depuis 2022.

Améliorer la reconnaissance des suicides dans les accidents de la route est également nécessaire pour atteindre les objectifs de sécurité routière, tels que la prévention d'au moins 50 % des décès sur les routes d'ici 2030 adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution A/RES/74/299 « Améliorer la sécurité routière mondiale » en 2020. Si de nombreux suicides sur la route restent méconnus, cela aura des conséquences négatives sur notre compréhension du moment et de la raison pour lesquelles certaines des mesures traditionnelles de prévention de la sécurité routière fonctionnent ou ne fonctionnent pas.

Enfin, un point important est que les accidents de voiture sont vus comme fréquents et normaux, ce qui amène les personnes qui souhaitent se suicider à utiliser ce type de pratique pour « déguiser » le suicide. Les chercheurs indiquent donc que plus la route sera sûre, plus le nombre de personnes cherchant à se suicider de cette manière diminuera.

https://doi.org/10.1016/j.trf.2024.07.028


L’image qui fait réfléchir

L’homéopathie est la seconde médecine la plus utilisée, de la même manière que la loterie est la seconde méthode d’investissement la plus utilisée au monde.


Les petites news

Vous trouverez les liens dans mon linktree : https://linktr.ee/adrienfillon

  • Sur Instagram, j’ai fait une série de vidéos sur des notions associées à l’éducation : la chronobiologie, la neuroscience, les compétences et les compétences psycho-émotionnelles. Je discute du problème fondamental que posent ces notions dans l’éducation et pourquoi il faut s’en méfier.

  • J’ai été interviewé pour Futura-science sur les comportements de prédation de l’éditeur Springer, qui possède Nature: https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/sciences-apres-avoir-lu-cet-article-vous-naurez-plus-meme-image-science-123146/. Notez que depuis, Springer a édité un livre sur l’intelligence artificielle qui contient des sources inventées (et coûte quand même 146 dollars à l’achat).

  • En parlant d’éditeurs qui font n’importe quoi, on vous propose un nouveau podcast méta-science dans lequel on fait une revue de presse de ce qui se passe dans l’édition scientifique. Elle est dispo dans notre podcast Répare ta science, et en visio sur ma chaîne Youtube.

  • Puisque ce mois de Juillet sera consacré aux inférences causales, je vous conseille cette vidéo de Julia Rohrer (en anglais) :

  • Enfin, sur mon blog, vous trouverez un nouvel article parlant des outils que j’utilise en tant que chercheur. Il n’est pas encore totalement fini, mais si vous voyez des outils à ajouter, n’hésitez pas à me contacter : https://adrienfillon.fr/2025/03/29/outils-et-ressources-de-recherche/

Bon courage pour la chaleur et n’oubliez pas que le plus efficace pour se rafraichir est d’appeler le numéro vert SOS canicule.

Psycho Papers

Par Adrien Fillon

Adrien Fillon est post-doctorant au CNRS, LAPSCO à Clermont-Ferrand. Ses champs de recherche sont la psychologie sociale appliquée à l’éducation, la méta-science et la détection d’erreur.

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