Croyances persistantes, science en ligne et scandale au BMJ #67

Croire qu’il est important de croire - Comprendre la science en ligne - Une erreur de calcul fait croire que le recyclage de vêtements est financièrement intéressant - Une revue Cochrane sur les indications de calories sur la nourriture et l'alcool - Une nouvelle hormone nous vole notre sommeil - BMJ et rétractation

Psycho Papers
10 min ⋅ 19/11/2025

Croire qu’il est important de croire

Les religions moralisatrices se sont répandues au cours de l'évolution culturelle et ont peut-être contribué à élargir notre répertoire coopératif. Aujourd’hui, on peut retrouver des traces de ces évolutions sur les institutions, les normes, et nos intuitions. À mesure que la religiosité des citoyens s'estompe, ces traces persistent - en d'autres termes, il reste une croyance collective qu’il est important de croire (en des valeurs, des socles, mais pas forcément en Dieu).

Dans cette expérimentation, les chercheurs ont trouvé des preuves que même pour les participants *résolument athées*, persiste l’intuition que l’augmentation de l'athéisme était intentionnellement causée par une force supérieure. Les chercheurs ont trouvé des preuves d'un effet Knobe de l'athéisme (l’athéisme est une croyance associée à une croyance religieuse) qui était évidente même parmi les athées des pays laïcs. Si “quelque chose” fait qu'il y a plus d'athées, c'est considéré comme plus intentionnel que la même cause conduisant à plus de croyants.

Autrement dit, les participants, même ceux qui ne sont pas religieux, et même dans des pays qui ne sont plus religieux, adoptent des croyances intuitives religieuses.

Pré-enregistrement : Plus ou moins mais on va dire que oui.

Données ouvertes : Oui

> Très heureux de voir un article de Gervais sur l’effet Knobe. C’est un effet sur lequel j’ai longtemps travaillé (j’ai deux articles sur le sujet) qui porte sur le sujet de croyances associés à des croyances et permet de mesurer plus finement pourquoi les personnes croient. J’aime beaucoup ce type d’étude qui préfère montrer en quoi nous avons des pensées similaires (entre religieux et athées) alors que l’essentiel du travail médiatique tend à renforcer des différences de manière non justifiée.

Gervais, W. M., McKay, R., Brown-Iannuzzi, J. L., Ross, R. M., Pennycook, G., Jong, J., & Lanman, J. A. (2025, February 7). Belief in Belief: Even Atheists in Secular Countries Show Intuitive Preferences Favoring Religious Belief. https://doi.org/10.31234/osf.io/nv2ge_v2


Une échelle de compréhension de la science en ligne

Des chercheurs ont développé une échelle de littéracie scientifique dans un monde numérique, autrement dit, une échelle qui mesure à quel point les personnes sont capables de comprendre l'information scientifique sur internet.

Voici l'échelle (en anglais):

  • Antibiotics kill both viruses and bacteria

  • The genes of the mother decide whether a child becomes a boy or a girl.

  • Scientific theories never change.

  • An essential part of science is scientists checking the quality of each other’s work.

  • Sometimes it is not clear how scientific research will be applied in practice at the time it is conducted.

  • In [country], many research projects are funded by tax money.

  • Politicians sometimes ask scientists for advice on policy decisions.

  • When I come across scientific information, I think about who created the information.

  • To find information on scientific issues, I use a variety of different media (e.g., online search engines, books, or TV).

  • I understand most news about scientific issues.

  • People tend to pay more attention to details that confirm their beliefs.

  • People tend to think that they are less susceptible to false information about science than other people.

  • People tend to feel more competent answering questions about science when they think they can find the answers on the Internet.

Pré-enregistrement : Oui

Données ouvertes : Oui

>Le questionnaire a été validé aux USA, en Suisse, et également dans quatre langues dont le français. Avec un peu de chances, on va bientôt avoir des études portant dessus chez nous.

Mede, N. G., Howell, E. L., Schäfer, M. S., Metag, J., Beets, B., & Brossard, D. (2025). Measuring Science Literacy in a Digital World: Development and Validation of a Multi-Dimensional Survey Scale. Science Communication. https://doi.org/10.1177/10755470251317379


Une revue Cochrane sur les indications de calories sur la nourriture et l'alcool

Les chercheurs ont inclus 25 études, principalement des essais randomisés contrôlés, et majoritairement des études de terrain, en particulier dans des restaurants ou des cafétérias. La plupart des études ont évalué l'ajout de simples étiquettes caloriques visibles (par exemple sur les menus ou sur le devant de l'emballage) aux produits alimentaires.

Les chercheurs ont trouvé des preuves d'un niveau de confiance élevé provenant de ~10 000 participants que l'étiquetage des calories des aliments entraînait une légère réduction des calories sélectionnées et achetées. L'effet estimé équivaut à une réduction d'environ 1,8 % ou à environ 11 kcal de moins pour un repas de 600 kcal.

La conclusion de l’étude est que l'étiquetage calorique des aliments (y compris les boissons non alcoolisées) sur les menus et les produits entraîne de petites réductions de l'énergie sélectionnée et achetée, et probablement consommée. Ces effets modestes ont le potentiel d'avoir des effets significatifs sur la santé de la population lorsqu'ils sont appliqués à grande échelle. D’autant plus que l'étiquetage est considéré comme faisant partie d'un ensemble systémique plus large de mesures de lutte contre l'obésité et ne doit pas être vu comme une finalité.

Pré-enregistrement et Données ouvertes : Je n’ai malheureusement pas accès à Cochrane mais normalement leurs études sont toujours pré-enregistrées.

Clarke, N., Pechey, E., Shemilt, I., Pilling, M., Roberts, N. W., Marteau, T. M., Jebb, S. A., & Hollands, G. J. (2025). Calorie (energy) labelling for changing selection and consumption of food or alcohol. Cochrane Database of Systematic Reviews, 2025(1). https://doi.org/10.1002/14651858.cd014845.pub2


Une erreur de calcul fait croire que le recyclage de vêtements est financièrement intéressant

Plus de 500 milliards de dollars de valeur sont perdus chaque année en raison de la sous-utilisation des vêtements et du manque de recyclage, selon la Fondation Ellen MacArthur.

Cette affirmation est largement acceptée par les gouvernements, l'industrie et la recherche. Elle indique que l’industrie du recyclage de vêtements permet de générer des revenus, des emplois, des profits et de la croissance économique tout en éliminant les déchets et la pollution, c’est ce qu’on appelle l’économie circulaire.

La majeure partie de « l'opportunité de 500 milliards de dollars » est constituée de « 460 milliards de dollars de valeur » qui est « perdue » en raison de la sous-utilisation par les clients qui se débarrassent prématurément des vêtements. On ajoute environ 100 milliards de dollars attribués au manque de recyclage ce qui porte le total à plus de 500 milliards de dollars. Les notes de fin de l’article expliquent comment les 460 milliards de dollars sont calculés :

En 2015, 46 % (en masse) des vêtements collectés ont été réutilisés. Si 100 % des vêtements jetés étaient collectés, 22,2 millions de tonnes seraient réutilisées au lieu de 5,6 millions de tonnes comme c'est le cas actuellement, ce qui signifie que 16,6 millions de tonnes de ventes de nouveaux vêtements seraient évitées, pour une valeur de 460 milliards de dollars.

Sauf que si on vendait des vêtements recyclés ou d’occasion à la place de vêtements neufs, on ne les vendrait pas au prix du neuf. Sur la base des prix observés sur le marché, la valeur financière réalisable de 16,6 millions de tonnes de textiles usagés est de 10 à 17 milliards de dollars, soit environ 3 % des 460 milliards de dollars prévus. Sur la base de l'estimation d'ANTE d'une industrie d'une valeur de 1,3 billion de dollars, cela représenterait une contraction de 34 % du chiffre d'affaires annuel de l'industrie mondiale de la mode. Le calcul sous-jacent aux 100 milliards de dollars de matériaux perdus est basé sur le prix des fils neufs, ce qui suggère une erreur de prix similaire..

Autrement dit, l’idée répandue que 460 milliards de dollars pourrait être tiré de l’économie circulaire repose sur une erreur grossière. En réalité, le recyclage ne produirait que quelques pourcents de cette valeur.

Hussain, T., Kuzmina, K., & Koria, M. (2025). The Emperor’s old clothes: a critical review of circular fashion in gray literature. Frontiers in Sustainability, 6. https://doi.org/10.3389/frsus.2025.1499273


Une nouvelle hormone nous vole notre sommeil

De plus en plus de preuves suggèrent qu'une mauvaise santé du sommeil est associée à un risque accru de développer de l'obésité. Récemment, L. Xie et ses collègues ont identifié une nouvelle hormone, la raptine, sécrétée par le cerveau pendant le sommeil pour diminuer la prise de poids corporel en régulant l'apport alimentaire.

La libération de raptine est chronométrée par le circuit entre les neurones exprimant la vasopressine dans le noyau suprachiasmatique et les neurones RCN2-positifs dans le noyau paraventriculaire. Les niveaux de raptine atteignent un pic pendant le sommeil, qui est émoussé par un manque de sommeil. La raptine se lie au récepteur métabotropique du glutamate 3 (GRM3) dans les neurones de l'hypothalamus et de l'estomac pour inhiber l'appétit et la vidange gastrique, respectivement. La signalisation Raptin-GRM3 médie les effets anorexigènes via la signalisation PI3K-AKT. Il convient de noter que nous vérifions les liens entre les déficiences de l'état de sommeil, la libération altérée de Raptine et l'obésité chez les patients souffrant de manque de sommeil. De plus, les humains porteurs d'une  variante non-sens de RCN2 présentent un syndrome de repas nocturne et une obésité. Ces données définissent une hormone unique qui supprime l'apport alimentaire et prévient l'obésité.

Pré-enregistrement : Non

Données ouvertes : Oui

> Des chercheurs se sont rendu compte d'un duplicat d'une image dans l'article, l'article ayant été corrigé. Néanmoins, avec autant d'auteurs chinois et aucun auteur d’autres origines, restons très prudent sur la portée de cet article et rappelons que les chercheurs chinois sont presque forcés à adopter des pratiques de recherches problématiques.

Xie, LQ., Hu, B., Lu, RB. et al. Raptin, a sleep-induced hypothalamic hormone, suppresses appetite and obesity. Cell Res 35, 165–185 (2025). https://doi.org/10.1038/s41422-025-01078-8


L’image qui fait réfléchir

”Le dernier sondage d’engagement vient de paraitre.

Il y a un déclin massif de la satisfaction des employés depuis que je suis devenu le manager.

[…]

J’ai donc besoin de 5 initiatives de votre part sur comment résoudre ce problème avant la fin de la semaine.”


Nous vivons un moment unique de l’histoire de BMJ.

BMJ est le journal le plus connu dans le milieu médical, un journal de référence qui produit les guides sur de très nombreux domaines de médecine. C'est un journal élitiste et très prestigieux. Et comme de nombreux journaux très prestigieux, BMJ ne rétracte quasiment jamais d'articles. En fait, sur Retraction Watch, il n'y a que 7 références à des articles rétractés depuis que Retraction Watch regarde les possibilités de rétraction, soit depuis les années 80.

Mais tout cela pourrait changer très vite.

Le 29 octobre 2025, soit il y a moins d'un mois quand cette newsletter paraît, est apparue dans BMJ une recherche publiée par un collectif de chercheurs iraniens et anglais dont certains ont déjà été épinglés pour des pratiques très problématiques dans d'autres études.

Cet article porte sur la “Prévention de l'insuffisance cardiaque induite par un infarctus aigu du myocarde grâce à une perfusion intracoronaire de cellules souches mésenchymateuses”.

Cette étude montre qu'en injectant des cellules souches, on peut réduire les insuffisances cardiaques. C'est une chance unique pour les patients d'éviter de mourir de complications cardiaques. L'étude a été réalisée sur 420 patients et montre un effet assez fort et de nombreuses p-valeurs significatives dans les résultats. Sauf que, très rapidement, des chercheurs se rendent compte de la supercherie.

Premièrement, entre les données en libre accès et les données de l'article, il y a une différence extrêmement importante. Les données dans l'article indiquent qu'il y a 420 patients, dont 396 utilisés pour les résultats.Les chercheurs indiquent également que les patients âgés de plus de 65 ans avec un problème de fonctionnement ventriculaire seront exclus. Cependant, les données montrent que les patients âgés de 65 ans ont été exclus indépendamment du fait qu'ils aient un problème ventriculaire. Pourtant, dans les données disponibles pour les 396 patients, 127 sont âgés de plus de 65 ans. Il y a donc un double problème, le premier sur l'exclusion du fonctionnement ventriculaire et le deuxième sur le manque d'exclusion des participants de plus de 65 ans.

À la suite de ça, Nick Brown, que vous connaissez parce qu'il fait partie de notre podcast Répart à Science, a découvert un pattern de résultats curieux qui se répète tout au long des données. À chaque fois que les données ont 101 enregistrements, il y a systématiquement les mêmes variables, 14 fois. Plusieurs chercheurs ont ensuite trouvé différents problèmes, notamment associés au fait que les poids et les tailles qui finissaient en 0 ou en 5 étaient largement plus produites que le reste des possibilités de taille et de poids, et d'autres nombreux problèmes, notamment sur l'accès à des données interactives qui finalement n'existent pas et une différence de nombre de participants entre le résultat final de l'étude et ce qui était dans le préenregistrement.

...

Psycho Papers

Par Adrien Fillon

Adrien Fillon est post-doctorant au CNRS, LAPSCO à Clermont-Ferrand. Ses champs de recherche sont la psychologie sociale appliquée à l’éducation, la méta-science et la détection d’erreur.

Les derniers articles publiés