Contraception gratuite et natalité - Les limites logiques des réseaux neuronaux - Comment les chercheurs en politiques génèrent des inférences causales ? - Un pan entier de la recherche en psychologie qui s’effondre - Impact du bruit et des particules fines sur les troubles psychologiques au long de la vie


EXPÉRIENCE : Imaginez que vous ayez recruté 14 000 femmes dans une étude en Afrique. Vous décidez de donner à environ la moitié d'entre elles la possibilité d’avoir un moyen de contraception gratuite avec une éducation sur la contraception, et une réduction de 10% pour la seconde moitié.
Pensez-vous que les femmes qui ont obtenu une contraception gratuite auront des taux de natalité plus élevés, inférieurs ou similaires aux autres femmes ?
Une équipe de recherche vient de le faire au Burkina Faso, entre 2019 et 2021 avec un suivi de chaque femme sur 3 ans. La réponse est : aucun effet, la natalité est exactement la même.
Cet essai contrôlé randomisé a en effet révélé que donner un accès gratuit aux contraceptifs n'avait aucun effet sur la fertilité.
De plus, aucune des campagnes d'éducation ne semble avoir eu d'effet non plus. Il y a eu un effet dans les communautés où les femmes croyaient qu'il y avait une forte acceptation publique de l'utilisation de contraceptifs, mais il est intéressant de noter que les réunions publiques dans lesquelles il y avait une forte acceptation du public n'ont pas amené les femmes à croire à une forte acceptation de leurs concitoyens.
En fait, les interventions éducatives destinées à amener les femmes vers la contraception les ont rendues moins susceptibles de croire que « la contraception n'est pas contre la tradition ».
On observe dans la figure suivante la « différence » entre la condition avec une réduction de 10% sur les outils de contraception vs. une gratuité. Les deux lignes se superposent totalement, il n’y a vraiment aucune différence.
Dupas, P., Jayachandran, S., Lleras-Muney, A., & Rossi, P. (2024). The Negligible Effect of Free Contraception on Fertility: Experimental Evidence from Burkina Faso. National Bureau of Economic Research. https://doi.org/10.3386/w32427
Je vous parle souvent de ChatGPT et consorts alors que bon ici, j’écris « presque » tout mon contenu à la main, avec une plume et de l’encre et un effaceur, et aussi une gomme. Je vais vous parler ici d’un article sur les limites logiques des réseaux neuronaux, qui sous-tendent les modèles de langage.
En philosophie formelle, on adore les syllogismes, c’est-à-dire déterminer des propositions vraies ou fausses à partir d’autres propositions.
Le syllogisme le plus connu est « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme, donc Socrate est mortel ». Plus généralement, on peut dire que si A est supérieur à B et B supérieur à C, alors A est supérieur à C. Il y a plein de syllogismes différents et il y a des gens très intelligents qui passent leurs vies à y réfléchir. On ne juge pas.
Les chercheurs ont testé différents réseaux de neurones et se sont rendu compte que s’ils gèrent bien les raisonnements courts (comme les exemples du dessus), ils performent nettement moins bien dans les raisonnement long (genre si on fait une récursivité de A, B, C et D allant jusqu’à C est supérieur à D, alors A est supérieur à D). Cela est dû au fait que les réseaux de neurones n’ont pas une compréhension correcte de la récursivité. Ainsi, s’ils comprennent les règles qui ne sont pas trop récursives (avec A, B et C) dès qu’on augmente la récursivité (A dépend de B qui dépend de C qui dépend de D qui dépend de E), le réseau n’arrive pas à les lier correctement.
Ainsi, les réseaux de neurones ne comprennent pas, pour l’instant, la logique derrière les syllogismes et ne font que « recopier » les syllogismes les plus simples.
Manuel Guzman, Jakub Szymanik, and Maciej Malicki. 2024. Testing the limits of logical reasoning in neural and hybrid models. In Findings of the Association for Computational Linguistics: NAACL 2024, pages 2267–2279, Mexico City, Mexico. Association for Computational Linguistics.
En analysant les données publiées les 3 dernières années dans les articles majeurs de sciences politiques, les chercheurs ont trouvé 254 articles indiquant un rapport de causalité.
Il y a trois stratégies majoritairement utilisées : l’aléatoirisation (e.g., un essai randomisé), la sélection des données observées (e.g., variable contrôle + régression ou comparaison avec variable correspondante), et « autre » (double différence, discontinuité en régression, variables instrumentales, etc.).
La majorité des stratégies restent les stratégies d’aléatoirisation :
En comparaison avec les sciences économiques, Il semble que les politologues soient moins susceptibles d'utiliser des variables instrumentales et des modèles de double différence, mais plus susceptibles d'utiliser des plans de discontinuité de régression et des expériences randomisées.
Kistner, M. (2024). Causal Inference in Contemporary Political Science. CI_in_Poli_Sci.pdf (dropbox.com)
Les humains ont évolué pour prêter attention aux signaux menaçants qui peuvent transmettre des informations importantes sur l'environnement. Ce biais attentionnel axé sur la menace a été proposé comme facteur de risque d'anxiété dans de nombreux cadres théoriques. Cet effet a majoritairement été étudié avec le « emotional dot-probe task » avec des résultats pour le moins contradictoires entre les méta-analyses. L’étude ci-présente s’intéresse donc à la qualité de la tâche dot-probe pour mesurer l’attention aux signaux menaçants.
Dans l'étude 1, les chercheurs ont recueilli des données auprès de 7 760 participants dans 36 versions différentes de la tâche. L’objectif était de trouver les versions les plus « robustes » pour les retester. Dans l'étude 2, les chercheurs ont sélectionné les versions de tâches les plus fiables de l'étude 1 et des données supplémentaires sur les caractéristiques cliniques liées à l'anxiété chez 1 840 autres personnes pour voir si la fiabilité de ces versions était reproductible et si la fiabilité différait pour les participants présentant des niveaux plus élevés d'anxiété.
Voici comment fonctionne la tâche :
Dans un premier temps, les participants voient un petit + au milieu de l’écran, ainsi que les lettres E et F. Ils voient ensuite extrêmement rapidement deux photos, dont une est menaçante et la seconde est neutre. Dans l’exemple, ce sont des visages mais ça peut aussi être des serpents, des araignées, ou des scènes. Ces photos durent, en fonction des conditions, entre 100, 500 et 900 ms (900ms étant 0.9s). immédiatement après, la lettre sur laquelle les participants doivent cliquer apparaît à la place d’une des deux images. Les participants ont pour instruction de taper sur la lettre E ou F le plus vite en fonction de la lettre qui apparaît.
L’idée est très simple : les participants, parce qu’ils doivent repérer vite les menaces, vont avoir l’œil attiré vers le visage menaçant, et vont donc répondre plus rapidement quand la lettre est du même côté que le visage menaçant que quand elle est de l’autre côté.
Les chercheurs ont testé les images à l’horizontale : une à gauche, une à droite, et à la verticale, une en dessous de l’autre.
Sur les 36 versions, les auteurs indiquent que 8 versions semblent plus fiables que les autres. Ils ont ainsi testé ces 8 versions une seconde fois avec des participants présentant des troubles anxieux, pour voir si l’effet était robuste, voire même plus important chez eux.
Sauf que non. Aucune des versions du test n’obtient un score significatif, même chez les participants les plus anxieux, ou les plus hypervigilants. Aucune des versions n’avait de fiabilité supérieure à 0.
Les auteurs concluent : « Sur 36 versions qui variaient en type de stimulus et d’orientation du stimulus, nous n'avons pas été en mesure d'identifier des versions de la tâche suffisamment fiables pour justifier son utilisation pour mesurer les biais attentionnels liés à la menace chez les individus ».
Eiko Fried a répondu à cet article sur X : « Il y a des domaines entiers en psychologie qui font de la recherche avec des mesures qui n'ont jamais été correctement validées. Il est temps [pour les éditeurs scientifiques] d’émettre des “expression of concern” pour quelques milliers d'articles ? ». Aie.
Enfin, et c’est triste à dire, un article avait déjà prouvé que la tâche d’emotional dot-probe était inutile…. en 2005. La science ne se corrige pas tant que ça semble-t-il.
Schmukle, S. C. (2005). Unreliability of the dot probe task. European Journal of Personality, 19(7), 595-605. https://doi.org/10.1002/per.554
Des chercheurs ont suivi une cohorte de 14 000 enfants de la naissance (entre 1991 et 1993) à 25 ans (en 2018). Les résultats sont les suivants. Si la droite touche 1, il n’y a pas d’effet.
On observe donc que l’exposition aux particules fines durant la grossesse augmente les risques d’avoir des expériences psychotiques ou de la dépression durant l’adolescence/jeune adulte.
Concernant l’anxiété, on observe un lien avec la pollution sonore durant l’enfance et l’adolescence.
À noter que ces résultats existent en contrôlant pour le lieu de résidence, le status socio-économique, etc.
Les chercheurs indiquent qu’il est donc urgent de réduire l’exposition aux particules fines et au bruit pour protéger la santé mentale de la population.
Newbury JB, Heron J, Kirkbride JB, et al. Air and Noise Pollution Exposure in Early Life and Mental Health From Adolescence to Young Adulthood. JAMA Netw Open. 2024;7(5):e2412169. doi:10.1001/jamanetworkopen.2024.12169
C’est le titre de mon article publié sur the conversation il y a quelques semaines. Dans cet article, on discute avec Céline Darnon (ma big boss du boulot) de la manière dont les chercheurs voient les difficultés éducatives et les solutions que peuvent apporter la psychologie dans l’éducation. La question que l’on se pose est : est-il désirable de faire des interventions spécialisées auprès des élèves en difficulté alors qu’on pourrait changer le système qui a mis ces élèves en difficulté ?
Si le thème vous intéresse, vous retrouverez l’article ici : https://theconversation.com/lutter-contre-les-inegalites-educatives-agir-sur-les-individus-et-ou-sur-le-systeme-240758
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Aujourd’hui, on discute d’une méta-analyse qui mets en évidence que la luminothérapie est un traitement efficace pour les troubles dépressifs non-saisonniers.
Je vous mets directement le tableau et graphique des résultats :
Comme vous pouvez le constater, cette méta-analyse contient 8 études. Sur les 8, il y en a 4 qui n’indiquent aucun effet (autrement dit ; la barre touche 1).
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