Psycho Papers

Une newsletter qui rassemble et vulgarise des études actuelles en psychologie.

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Par Adrien Fillon
10 avr. · 7 mn à lire
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Psycho Papers #33 - Red Flag des études scientifiques

L’adhérence démographique - La question brûlante des bébés secoués - Le debunk n’est pas une fin - Les grosses entreprises ne jouent pas franc jeu - Les nudges (bien faits), ça marche ! - thérapie dialectique chez les ados - Antidépresseurs aux US - les RED FLAGS

L’adhérence démographique.

Lorsqu’une femme quitte un poste important, par qui va-t-elle être replacée ? Selon l’hypothèse de l’adhérence démographique, il y a une majorité de chance qu’elle soit remplacée par une autre femme.

Cette étude, qui a portée sur plus de 2000 remplacements de juges et de 5000 membres de conseil d’administration d’entreprises confirme cette théorie. Cela marche aussi pour l’origine ethnique (noire, asiatique, espagnole) des juges. Les chercheurs espèrent que les interventions en diversité puissent sensibiliser les entreprises à ce problème.

https://pubsonline.informs.org/doi/10.1287/mnsc.2023.4897


La question brûlante des bébés secoués.

L’histoire suivante est tirée d’un fil twitter de Cyrille Rossant, que j’ai malheureusement perdu…

Cyrille Rossant, chercheur en neuroscience, était en vacances il y a 7 ans dans le sud de la France, quand il a emmené son bébé de 5 mois à l’hôpital car il trouvait que son bébé manquait de tonus. Il était inquiet car sa mère, pédiatre, trouvait son périmètre crânien trop élevé.

Le diagnostic ne manque pas : son fils présente les symptômes du bébé secoué.

Le médecin urgentiste est revenu, choqué. « Monsieur, votre fils a du sang autour du cerveau, ce qu'on appelle une hémorragie sous-durale. J’ai peur de vous dire que votre bébé a été secoué. »

On sait que les bébés victimes de cette forme grave de maltraitance meurent ou souffrent d'un handicap à vie après de violentes secousses, et Cyrille était très inquiet pour sa santé. Heureusement, l’IRM s’est avérée rassurante. Le bébé de Cyrille a reçu deux opérations neurochirurgicales et il s'est complètement rétabli.

La question qui s’ensuit est : qui a pu secouer le bébé ? Ça ne pouvait être lui, et il ne pouvait croire que ça soit sa femme. Le bébé était gardé par une nourrice de temps en temps, mais elle a toujours dit que ça se passait bien avec elle.

Pourtant les médecins sont formels : « aucune autre cause que de violentes secousses ne pourrait jamais expliquer la présence de sang autour du cerveau et à l'arrière des yeux. Pourquoi est-ce que je ne les croirais pas ? Ce sont les experts. »

Ce qui a cependant fait douté Cyrille, c’est le pédiatre qui a dit qu’il existait une maladie relativement rare appelée hydrocéphalie externe bénigne, un excès de liquide autour du cerveau parfois associé à une hémorragie sous-durale et rétinienne. Cyrille et sa femme étaient perdu.

Bon, et puis il y a d’autres choses à gérer. Suite à la découverte, lui et sa femme ont perdu la garde de leurs enfants, le temps de tirer l’affaire au clair. Il sont eu énormément de chances car ils ont pu continuer d’aller le voir a l’hôpital, la majorité des parents dans cette situations ne pouvant s’approcher du bébé le temps de la procédure, qui peut durer plusieurs mois.

La chance dans leur désespoir est que Cyrille est docteur en neuroscience. Il sait donc rechercher les études scientifiques sur le sujet. Après avoir lu plus de 500 articles médicaux en quelques mois, il a réussi à obtenir une réponse relativement claire pour son fils, mais cela s'est avéré n'être que le tout début d'un long voyage, peut-être même de toute une vie.

Ce qui s'est passé, c'est qu'au cours de sa revue de la littérature, il a réalisé de façon troublante que ce qui se dit à l'hôpital, à savoir que les hémorragies sous-durales et rétiniennes chez les nourrissons sont presque toujours causées par de violentes secousses, même en l'absence de preuves externes de traumatisme, était une affirmation reposant sur des fondements scientifiques très faibles.

Chaque année, des milliers d’enfants sont retirés à leurs parents et des milliers sont poursuivis, condamnés et même incarcérés sur la base de cette affirmation. La professeure de droit Deborah Tuerkheimer qualifie le SBS/AHT de « diagnostic médical de meurtre ». Le moins que l’on puisse attendre d’une affirmation aussi puissante est qu’elle repose sur des fondements scientifiques fiables.

Même si les hémorragies sous-durales et rétiniennes peuvent être causées par un traumatisme non accidentel, en particulier lorsqu'il s'agit d'un impact, elles ne sont tout simplement pas spécifiques : en effet, il a été démontré qu'un large éventail d'événements accidentels et de conditions médicales constituent des causes alternatives plausibles. Les nourrissons particulièrement fragiles peuvent subir de graves blessures à la tête à la suite de chutes mineures dans la maison. D’autres peuvent souffrir de maladies génétiques, de troubles métaboliques, d’anomalies de la coagulation sanguine ou d’infections.

Mais dans la pratique, très peu de pathologies sont vérifiées et « exclues » avant de conclure à un diagnostic de maltraitance – la grande majorité ne fait l’objet d’aucun contrôle. Très souvent, les abus sont diagnostiqués « par défaut », car aucune explication alternative connue n’a été trouvée (ni même activement recherchée). C’est extrêmement dangereux, car cela semble indiquer qu’aucune autre découverte médicale ne sera nécessaire à l’avenir.

De manière remarquable, des études neuropathologiques ont montré au cours des vingt dernières années que les lésions observées chez des nourrissons soupçonnés d'avoir été secoués ne reflétaient pas en réalité un traumatisme, mais une hypoxie. Plus précisément, ce manque d'oxygène est cohérent avec l'histoire clinique rapportée dans de nombreux cas (étouffement, détresse respiratoire…), mais immédiatement rejetée comme « incompatible » avec l'hypothèse des secousses. Le chevauchement épidémiologique étendu entre les nourrissons atteints d'hémorragie sous-durale et rétinienne et ceux qui meurent subitement et sont étiquetés comme syndrome de mort subite du nourrisson (par exemple, âge moyen similaire (3 mois), sex-ratios, proportions de prématurité, association avec une détresse respiratoire, facteurs de risque…) suggère que les deux conditions peuvent partager des voies physiopathologiques communes. De plus, des recherches en biomécanique ont montré que des impacts mineurs, comme ceux survenant lors de chutes mineures, génèrent des forces nettement plus intenses que les secousses.

Le premier problème est que dans la majorité des cas, il existe des explications au bébé secoué qui sont plus plausibles. Le second problème, c’est les faux témoignages :

Le principal élément de preuve du SBS/AHT, considéré comme une preuve absolue de secousses, est l'existence d'aveux de secousse obtenus lors des interrogatoires de police après que le diagnostic ait été posé à l'hôpital et communiqué aux enquêteurs et au prévenu. Les médecins enseignent aux policiers que les secousses sont la seule explication possible des symptômes de l’enfant et qu’ils ont dû se produire juste avant l’effondrement de l’enfant. Si certaines confessions sont authentiques, beaucoup sont fausses; celles-ci peuvent être dues à des suggestions policières, à des déclarations de culpabilité destinées à profiter à l'autre parent (combien de pères m'ont dit s'être sacrifiés pour laisser l'enfant retourner chez l'autre parent), à des aveux de gestes mineurs interprétés comme des « descriptions mensongères ». » de secousses violentes, ou simplement du manque de fiabilité de la mémoire humaine. La fréquence de tels faux aveux est scientifiquement bien documentée dans de nombreuses situations, notamment dans le contexte stressant de l’effondrement ou de la mort subite du bébé.

D’un autre côté, il existe des dizaines de cas documentés de témoignages de secousses, de bébés secoués enregistrés sur vidéo et d’aveux spontanés de secousses, mais sans hémorragie sous-durale et rétinienne. En fait, il n’existe pratiquement aucun cas connu d’événement documenté de manière fiable de bébé secoué violement sans impact sur un bébé en bonne santé, entraînant une hémorragie sous-durale et rétinienne isolée (des marqueurs supplémentaires de traumatisme seraient attendus dans de tels cas). En revanche, il y a eu de nombreux cas de chutes courtes enregistrées ou observées sur vidéo, aboutissant à ces conclusions médicales, considérées comme « impossibles » par l’hypothèse des secousses.

Compte tenu de tout cela, il est scientifiquement intenable d’affirmer qu’un enfant « a dû être secoué » lorsqu’une hémorragie sous-durale et rétinienne isolée a été découverte en l’absence des très rares « explications alternatives acceptées ». À l’heure actuelle, la seule explication correcte dans cette situation est : « Nous ne savons pas ». Cependant, comment pouvons-nous admettre que nous ne savons pas quand nous « diagnostiquons » un syndrome appelé « syndrome du bébé secoué » chaque fois qu’un bébé présente une hémorragie sous-durale et rétinienne ? En fait, un problème majeur du syndrome du bébé secoué est son nom : il associe un ensemble de découvertes à une cause unique et entièrement hypothétique. En fait, Norman Guthkelch, l'un des médecins à l'origine de l'hypothèse des tremblements, qui a proposé plusieurs décennies plus tard le terme plus neutre et objectif d'« hémorragie rétino-durale de l'enfance » (RDHI).

Dans le cas de Cyrille, la nourrisse a été interdite de prise en charge du bébé de Cyrille et d’autres bébé, perdant son salaire pendant 4 ans. Dans certains cas, les parents sont traumatisé, se suicident, les familles sont déchirées.

Cyrille a rassemblé une équipe de 32 chercheurs pour faire le point sur le sujet, ce qui a abouti à un livre en anglais, « shaken baby syndrom », à retrouver ici : https://shakenbaby.science/


Le debunk n’est pas une fin.

Un consensus croissant suggère que l'une des causes du soutien aux pratiques antidémocratiques et à la violence entre des camps opposés est que les partisans ont une perception erronée de l'autre camp. En d'autres termes, ils exagèrent considérablement la mesure dans laquelle les membres de l'autre parti soutiennent les pratiques antidémocratiques et la violence. Lorsque ces perceptions erronées sont corrigées, les citoyens modifient leurs propres convictions.

Une nouvelle étude montre la limite de ce raisonnement. Chercher à corriger des croyances erronées basique ne permet pas de lutter contre le recul démocratique dû aux perceptions erronées des citoyens. Si on veut changer la perception que les individus ont des autres citoyens, il faut concevoir des interventions plus fortes (voir même faire de l’éducation !?) et, plus généralement, prendre en compte l’environnement dans lequel les individus font leurs jugements.

https://www.pnas.org/doi/abs/10.1073/pnas.2308938120


Les grosses entreprises ne jouent pas franc jeu.

Les grosses entreprises disent en faire beaucoup pour l’environnement. Sauf que voilà, sur 100 très grosses entreprises mondiales, aucune ne présente les résultats environnementaux de leurs efforts. Une rigueur, une cohérence, une transparence et une responsabilité accrues sont nécessaires pour garantir que la restauration menée par les entreprises produise des résultats quantifiables, bénéfiques et équitables.

https://www.science.org/doi/10.1126/science.adh2610


Les nudges (bien faits), ça marche !

Des chercheurs se sont associés à Alibaba pour modifier le choix par défaut de couvert dans les ventes de nourriture à emporter. Plutôt que de proposer systématiquement des couverts, l’application propose de ne pas prendre de couverts par défaut, en laissant l’utilisateur cliquer sur les couverts s’il en a besoin. Si l’utilisateur ne prends pas de couverts, il est récompensé par de « points verts ».

Il se trouve que le changement d’interface a augmenté énormément les chances de ne pas prendre de couverts (SNCO dans l’image). Autrement dit, les données de al ligne orange sont beaucoup plus basses que celles de la ligne vert/bleu (bleu canard? j’en sais rien je suis pas graphiste). Cela amène à réduire grandement l’impact environnemental des ventes à emporter.

Source : https://www.science.org/doi/10.1126/science.add9884


Pas d’effet préventif de l’utilisation de la thérapie dialectique sur le bien-être des adolescents.

Une étude a été menée sur plus d’un millier d’adolescent. Ils avaient en classe 8 sessions d’intervention sur la thérapie dialectique censée améliorer leur bien-être en améliorant leur stratégie de régulation des émotions. Sauf qu’il s’est passé l’inverse. Les adolescents ayant suivi les 8 séances ont eu des symptômes dépressifs et anxieux plus importants que les adolescents n’ayant pas suivi ces séances.

Les chercheurs indiquent qu’il ne faut pas recommander la thérapie dialectique en prévention chez les adolescents. Notez que l’étude ne porte pas sur les effets de la thérapie dialectique en tant que telle mais sur une formation à la thérapie dialectique.

Source: https://doi.org/10.1016/j.brat.2023.104408


L’image qui fait réfléchir.

Aux USA, la vente d’anxiolitiques a été en augmentation drastique avant 2017.

En particulier chez les enfants et adolescents, alors que les méta-analyses indiquent clairement qu’ils ne fonctionnent pas chez eux et sont néfaste à leur santé.

https://www.cochranelibrary.com/cdsr/doi/10.1002/14651858.CD013674.pub2/full


Et maintenant, les Red Flags!

Vous vous en doutiez si vous me suivez aussi sur X ou sur Instagram, j’ai sorti un petit guide intitulé “Les Red Flags des articles scientifiques”. Pourquoi ai-je fait ça ? Comment ça marche ? Où le télécharger? Est ce que je dois savoir lire pour l’utiliser ? Toutes les réponses ci-dessous.

Cela fait maintenant plusieurs années que je fais de la vulgarisation pour le grand public, mais aussi que je m’intéresse aux erreurs et aux fraudes dans ma discipline scientifique (la psychologie sociale appliquée) et plus généralement les sciences. Je vois que de plus en plus de chercheurs, en particulier de jeunes chercheurs sont sensibilisés à la question, sans trop savoir comment appliquer d’évaluation critique des articles. Il en va de même pour les professionnels. J’ai eu beaucoup d’échanges avec les psychologues ayant été “dégouté” des pratiques de recherches pendant leur mémoire de master, se demandant si leur discipline était vraiment scientifique. Hélas, les données que les méta-scientifiques produisent sur la qualité de nos disciplines leur donne raison.

Ce n’est pourtant pas une raison pour se décourager. De plus en plus, les chercheurs, en particulier de la jeune génération, modifient profondément leurs pratiques de recherche. Des guides apparaissent, des procédures changent, des problèmes récurrents sont de moins en moins ignorés.

Si vous voulez un tour de la question des problèmes en science, le guide propose une introduction, en deux pages denses sur les problèmes actuels en psychologie.

Maintenant, je pense qu’il est possible de dessiner ce que j’ai appelé des Red Flags. Les Red Flags ne sont pas des indicateurs de fraude ni même d’erreurs, quand elles sont prises séparément. Elles le deviennent quand elles s’accumulent. Il n’y a aucun soucis à ne pas rapporter les graphiques descriptifs des données, si les données sont en accès libre. C’est plus problématique quand elles ne le sont pas, et encore plus si l’article est en pré-print. Bref, plus les indicateurs s’accumulent, moins on doit faire confiance en l’article. De plus, les indicateurs ne se valent pas. Un article qui indique dans son résumé des termes comme “p<.05” (pourquoi ne pas donner la valeur exacte?) ou dans la partie résultats une majorité des p-valeurs juste en dessous de 0.05 parait beaucoup plus suspect qu’un article avec des p-valeurs toutes petites mais en préprint. Bref, certains indicateurs sont plus important que d’autres et ils s’additionnent. Ils servent avant tout de ligne de guide pour réfléchir à la confiance à apporter à un article.

J’y ai ajouté un tableau fait par Eiko Fried pour lire les articles portant sur les essais cliniques (par exemple les médicaments). Ce tableau s’ajoute aux Red Flags et propose d’aller plus loin dans la critique de ces articles, en particulier en se posant la question des conflits d’intérêt, des vérifications des groupes témoin et des méthodes pour rendre aveugle les participants aux hypothèses.

Des chercheurs m’ont proposé d’autres Red Flags qui n’ont finalement pas été retenu, car trop compliqué à mettre en évidence. Mais il y en a surement d’autres, ou d’autres manière de les vérifier. Je suis donc preneur d’idées d’amélioration. Enfin, j’aimerai aussi proposer un guide pour la lecture de méta-analyse, qui est très différente des lectures d’articles empiriques, mais ça sera pour une autre fois.

Le guide est disponible sur Github et vous avez à droite une petite flêche pour le télécharger. Une fois que je serai convaincu qu’il est bien utile, en fonction de vos retour, je le mettrais sur un serveur plus pérein.

Ce guide a représenté beaucoup de travail, ainsi que la production de la newsletter. Si vous aimez ce que je fais, n’hésitez pas à vous abonner à la newsletter pour un mois ou pour un an afin de me soutenir. S’abonner me permet de continuer de vous proposer du contenu critique et un peu drôle parfois quand j’y arrive sur l’actualité de la psychologie. A dans deux semaines !

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