Psycho Papers

Une newsletter qui rassemble et vulgarise des études actuelles en psychologie.

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Par Adrien Fillon
13 mars · 5 mn à lire
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Psycho Paper #31 spécial troubles et syndromes psychologiques

Les troubles psychologiques sont des systèmes, pas des syndromes - Des études invraisemblables sur la douleur - Coup dur pour le microbiote du cancer - Des biais en psychiatrie

Les troubles psychologiques sont des systèmes, pas des syndromes

Cette rubrique est un résumé de l’excellent article de Eiko Fried publié en 2022 et trouvable ici : https://doi.org/10.1177/096372142211140.

La cinquième édition du DSM (DSM-5) précise qu'un épisode de trouble dépressif majeur peut être diagnostiqué si une personne présente au moins cinq des neuf symptômes pendant 2 semaines et présente également une altération considérable du fonctionnement. Pourquoi 5 sur 9 et pas 6 ? Pourquoi deux semaines ?

En revenant à l’origine de ces critères, on se rend compte que la première personne à les avoir fixés est Cassidi en 1957. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il a fixé ces critères, il a répondu « parce que ça me paraît sensé ».

Le DSM a été créé en fonction de diverses forces, et, bien qu’il soit basé sur des données, une grande partie de ces catégorisations provient avant tout de l’histoire de la psychiatrie, plus que des données scientifiques actuelles sur les troubles psychologiques.

Voici 8 observations montrant la différence entre l’idéalisation des critères du DSM comme étant des construits de troubles, et la réalité plus complexe des troubles mentaux :

  1. Pour la plupart des diagnostics, le DSM ignore les causes et l'étiologie.

  2. Les systèmes de classification comme le DSM et la CIM diffèrent considérablement dans leur conceptualisation de certains diagnostics (p. ex., TSPT), et il existe des douzaines d'outils de mesure différents pour diagnostiquer le même trouble (voir Fried et coll., 2022).

  3. La fiabilité interévaluateurs pour certains diagnostics courants est faible (Regier et coll., 2013).

  4. Les personnes ayant reçu le même diagnostic présentent souvent certaines similitudes (p. ex., en termes d'étiologie et de symptômes).

  5. Cependant, ils présentent également des différences considérables (p. ex., Galatzer-Levy et Bryant, 2013).

  6. Il existe une comorbidité considérable entre les diagnostics, et de nombreux facteurs de risque sont transdiagnostiques (c.-à-d. partagés entre les diagnostics ; Eaton et coll., 2015; Kessler et coll., 2005).

  7. Bien que les diagnostics soient catégoriels, la plupart des problèmes de santé mentale sont mieux décrits comme se situant sur une dimension de gravité allant de l'absence à très grave – et divers seuils où le fonctionnement normal se transforme en trouble mental ont été proposés (Haslam et coll., 2012; von Glischinski et coll., 2021).

  8. Enfin, les voies du trouble peuvent être caractérisées par l'équifinalité (différents points de départ peuvent conduire au même diagnostic) et la multifinalité (des points de départ similaires peuvent conduire à des diagnostics différents).

 On peut résumer ces 8 points en trois parties : un trouble a plusieurs définitions, est diagnostiqué avec beaucoup de subjectivité, et peut être facilement confondu avec d’autres troubles.

Un problème de littéralisme

Le littéralisme est le fait de prendre un trouble comme catégorie « au pied de la lettre ».

La psychologie clinique et la psychiatrie ont consacré la plupart de leurs ressources à étudier les étiquettes diagnostiques qui résument les états complexes de santé mentale des personnes, plutôt que la façon dont les processus biopsychosociaux donnent lieu à des problèmes de santé mentale. La littérature est dominée par les études cas-témoins, dans lesquelles un groupe témoin en bonne santé est comparé à un groupe diagnostiqué avec un trouble mental spécifique ; de telles études ont donné lieu à des « facteurs de risque de schizophrénie », à des « gènes pour le trouble dépressif majeur » et à des « symptômes de stress post-traumatique ». Il est peu probable que de tels modèles soient intéressant pour éclairer la recherche, car l'approche est imparfaite dans la mesure où les problèmes de santé mentale ne sont pas les idéalisations diagnostiques du DSM.

Un problème de réductionnisme

Un vélo est composé d’une roue crantée (associée à une pédale) liée à une chaîne qui est liée à une seconde roue crantée (associée à une roue de vélo). Pour comprendre comment un vélo fonctionne, on peut étudier chaque élément isolément et la manière dont ils s’agencent. Pour les troubles mentaux, c’est un peu plus compliqué, et il n’est ni possible, ni intéressant d’étudier la génétique d’un trouble, ou son aspect biologique, sans étudier l’aspect psychologique et l’aspect social, bien que ça soit le domaine d’investigation majoritaire actuellement. Ce réductionnisme amène des scientifiques et des médias à parler de « troubles des circuits du cerveau » ou de « dysfonctions dans le cerveau », niant entièrement les aspects sociaux et donnant un poids démesurés aux neurosciences, seules capables de comprendre et de soigner ces troubles. De nombreux projets de l’agence américaine de santé mentale ou l’énorme RDoC project se focalisent sur l’aspect neuroscience des troubles avec une amélioration de la prise en charge inexistante à ce jour.Insel

Ce réductionnisme est bien accepté pour les troubles mentaux alors qu’il serait immédiatement décrédibilisé pour des troubles physiques. Qui s’intéresserait à un processus de bas niveau, comme le lien entre proton et électron, pour traiter l’hypertension ? Alors pourquoi s’intéresser à la sérotonine pour traiter la dépression ?

De ce fait, Insel, directeur d’étude à l’institut américian d’étude sur la santé mentale concluait en 2017:

J’ai passé 13 ans au NIMH à vraiment m’investir sur les neurosciences et la génétique des troubles mentaux, [bien que] j'aie réussi à obtenir beaucoup d'articles vraiment cool publiés par des scientifiques cool à des coûts assez élevés – je pense 20 milliards de dollars – je ne pense pas que nous ayons fait bouger les choses en réduisant le suicide, en réduisant les hospitalisations, en améliorant le rétablissement des dizaines de millions de personnes atteintes de troubles mentaux.

Les troubles mentaux comme systèmes complexes

Eiko Fried explique : À l'été 2019, un chercheur que j'admire beaucoup a eu la gentillesse de me prêter son vélo pour quelques mois, à condition que j'en prenne bien soin. Lorsque le vélo est tombé en panne après 3 semaines, j'étais terriblement inquiet, mais le réductionnisme est venu à la rescousse : les vélos peuvent être décomposés en leurs parties constitutives, et la réparation de toutes les pièces au niveau individuel rétablira la fonction du vélo au niveau entier. Mais les troubles mentaux ne sont pas comme les bicyclettes – ils sont comme beaucoup d'autres systèmes complexes dans la nature. Qu'un lac soit propre ou trouble résulte d'interactions d'éléments interdépendants, tels que les niveaux d'oxygène, l'exposition au soleil, les poissons, la pollution, etc. Que mon humeur en écrivant ce document soit anxieuse ou joyeuse est le résultat de relations causales entre les éléments de mon système d'humeur, y compris ma personnalité et mon tempérament ; le sommeil de la nuit précédente ; ma consommation de caféine ; et des influences externes telles que ma boîte de réception des mails. Il en va de même pour les états de santé mentale. Du point de vue des systèmes, de tels états résultent d'interactions de nombreuses caractéristiques biologiques, psychologiques et sociales, y compris des facteurs de risque et de protection spécifiques, des humeurs, des pensées, des comportements, des prédispositions biologiques et des environnements sociaux. 

Le reste de l’article est un peu plus compliqué à lire. Fried fait le parallèle entre des sciences de systèmes complexes et ce à quoi pourrait ressembler l’étude des troubles mentaux dans ce type de sciences. Il explique en particulier que dans les systèmes complexes, il peut y avoir des vulnérabilités et des facteurs de résiliences qui agissent lorsque le système est perturbé, ce qui peut être modélisé mathématiquement.

Il finit en indiquant qu’une analyse fonctionnelle en TCC est déjà une analyse individuelle de la complexité d’un individu. On essaye de délimiter les possibles causes du trouble dans l’ensemble de la vie de la personne. Les scientifiques pourraient se baser sur ce type d’analyse pour prendre en compte la complexité des troubles mentaux.

Source : https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/09637214221114089


Des études invraisemblables sur la douleur

Des chercheurs ont trouvé 8 études invraisemblables sur la douleur. Ils ont ensuite regardé si des méta-analyses ont été conduites en incluant ces études. En fait, ces 8 études étaient inclues dans 32 méta-analyses. En excluant ces études des méta-analyses, la taille d’effet du résultat de la méta-analyse était réduite de 58%. Cela montre l’importance de faire des analyses qualitatives des études inclues pour éviter d’inclure des études problématiques.

https://www.jpain.org/article/S1526-5900(23)00467-4


Coup dur pour le microbiote du cancer

Un article de 2020 publié dans Nature avait trouvé un lien entre le microbiome (la flore intestinale) et 33 cancers, amenant à plus d’une douzaine de recherches sur le sujet essayant de prévenir les différents types de cancer. Sauf que voilà, il n’y avait pas une mais deux erreurs dans l’article. La première erreur se trouve dans le génome utilisé : la méthode utilisée par les chercheurs avait une erreur amenant à lire le génome humain comme étant le génome des bactéries, amenant à des millions de données reconnues comme bactéries alors qu’elles n’en étaient pas. La seconde se trouve dans la transformation des données en cancer/pas cancer, amenant à détecter des cellules cancéreuses là où il n’y en avait en réalité pas.

Pour l’instant l’article n’a ni été corrigé, ni rétracté…

https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2023.07.28.550993v1


Des biais en psychiatrie

Une analyse de 27 études sur les antidépresseurs en psychiatrie indique que les études pour lesquelles les chercheurs avaient des conflits d’intérêt financiers avaient tendance à être publiées dans des revues avec un facteur d’impact plus important et plus de citation. Cependant, ces études avaient un fort risque de biais de publication. A l’inverse, les études faites par des chercheurs sans conflit d’intérêt ont tendance à être publiées dans des revues avec des facteurs d’impact moins important, et à être inconclusifs (ils ne trouvent pas d’effet bénéfiques des antidépresseurs).

Si ces résultats sont généralisables à l’ensemble de la psychiatrie, cela signifie que ce domaine scientifique se base sur des données et une diffusion de la preuve scientifique biaisées en faveur des études financées par les industries pharmaceutiques.

https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2023.07.015


L’image qui fait réfléchir

Taux de suicide homme/femme en fonction du pays. On observe un taux de suicide beaucoup plus important chez les hommes que chez les femmes, excepté l'Inde, la corée du Nord, Myanmar et quelques autres pays.Taux de suicide homme/femme en fonction du pays. On observe un taux de suicide beaucoup plus important chez les hommes que chez les femmes, excepté l'Inde, la corée du Nord, Myanmar et quelques autres pays.Source:

https://www.reddit.com/r/dataisbeautiful/comments/th0i5u/suicide_rates_in_young_men_and_women_by_country_oc/


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