Psycho Papers

Une newsletter qui rassemble et vulgarise des études actuelles en psychologie.

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Par Adrien Fillon
28 août · 7 mn à lire
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Psycho Papers #41, La newsletter qui est désolée pour sa réponse tardive

Le prix de beauté - Les psys charbonnent - Si mal que ça en devient bien - N'hésitez pas à me poser des questions - Qu’est ce qu’une dimensions en psychopathologie - féminisme et misandrie

Le prix de beauté

Un chercheur a demandé à 74 personnes de noter la beauté d'étudiants dans une école d'ingénieur suédoise. Il a ensuite utilisé les notes des élèves, le genre de l’instructeur et le type du cours (en ligne pendant la covid ou face à face avant et après la Covid) pour voir si la beauté pouvait avoir un impact sur la notation. Et en effet, les "jolies filles" qui avaient des bonnes notes en présentiel ont eu des notes détériorées pendant la covid, puis à nouveau des meilleures notes quand elles sont revenues en présentiel après la covid. Pour les hommes, les plus beaux avaient de meilleures notes que les autres avant, durant, et après la covid. À noter que pour les deux types d'élèves, il n'y avait pas de différences dans le genre de l'instructeur (les instructeurs masculins ne notaient pas mieux les filles que les garçons et de même pour les instructrices).

Source : Mehic, A. (2022). Student beauty and grades under in-person and remote teaching. In Economics Letters (Vol. 219, p. 110782). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.econlet.2022.110782


Combien de temps travaillent les psychologues cliniciens en dehors de leur session de thérapie ?

Il n'y a qu'une étude sur le sujet, qui indique que les psychologues passent en moyenne 19 % de leurs temps à préparer leurs sessions.

Dans une étude qualitative avec des entreprises auprès de 18 psychologues, les cliniciens, tous de New-York, expliquent qu’ils sont confrontés à de nombreux obstacles de planification qui augmentent leur charge de travail. Ils ont aussi des contraintes administratives fortes.

Ils indiquent avoir besoin de plus de ressources, de formation, de soutien clinique et de temps pour être en mesure de fournir les soins de qualité qu'ils estiment que leurs clients méritent. Ils ont des difficultés à trouver des ressources gratuites, facilement accessibles, et bien organisées, en ligne. La plupart des manuels papier sont chers (surtout aux USA) et pas totalement utile, en plus d'être rapidement caducs.

Source : Last, B. S., Mirhashem, R., & Yang, Y. (2023). From Plan to Practice: A Qualitative Study of Public Mental Health Therapists’ Session Planning Practices. Center for Open Science. https://doi.org/10.31234/osf.io/zkae3


Si mal que ça en devient bien

En microéconomie, on part du principe que l’individu souhaite maximiser son intérêt personnel. Mais est-ce que, placé devant un choix évident “bon” et “mauvais”, les individus choisissent systématiquement le bon choix ?

À travers 12 études de mauvais goût, les auteurs ont mis en évidence que parfois, on préférait des alternatives de très mauvaises qualité à des alternatives meilleurs, par exemple dans le cas des mêmes douteux sur reddit, ou des nanars au cinéma. Des sujets tellement nuls qu’ils en deviennent bien.

De quoi faire frémir les économistes !

Source : Weingarten, E., Bhattacharjee, A., & Williams, P. (2023). So bad it’s good: When and why consumers prefer bad options. In Journal of Consumer Psychology. Wiley. https://doi.org/10.1002/jcpy.1394


N’hésitez pas à me poser des questions

Ce petit bout de phrase a été ajouté systématiquement dans un cours en ligne sur plus de 1500 personnes pour tester si elle augmentait le taux de questions. Et la réponse est oui… mais seulement chez les participants qui posaient déjà des questions (qui, finalement, en posent d’autant plus). C’est donc une technique un peu efficace pour augmenter le nombre total de questions, mais pas réellement pour augmenter l’engagement général ou lutter contre le désengagement dans les formations en ligne. De plus, le fait d’ajouter cette phrase n’a, ni en ligne, ni en présentiel, amélioré les notes des élèves.

Weijers, R. J., de Koning, B. B., Scholten, E., Wong, L. Y. J., & Paas, F. (2024). “Feel free to ask”: Nudging to promote asking questions in the online classroom. In The Internet and Higher Education (Vol. 60, p. 100931). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.iheduc.2023.100931


Qu’est-ce qu’une dimension en psychopathologie

J’espère que c’est le genre de questions que vous vous posez dès que vous enfilez vos charentaises au levé du lit.

Il se trouve que comme toutes les questions qu’on se pose de manière sérieuse, la réponse est compliquée. Il existe en fait au moins trois définitions qui se contredisent un peu dans le manuel de diagnostic des troubles mentaux.

La première définition indique un continuum : une dimension est un ensemble d’indicateurs qui peuvent être sommés ou moyennés. Pour la dépression, c’est le cas de l’utilisation de l’échelle de Beck ou d’Hamilton. Chaque question est liée à un score, on additionne et la dépression est caractérisée au-dessus d’un seuil pour le score total.

La seconde définition indique un continuum homogène : des indicateurs peuvent s’ajuster vers un modèle supra-ordonné tels que le PROMIS (Patient-Reported Outcomes Measurement Information System), un ensemble d’échelles que l’on va ensuite agréger vers une dimension. La dépression ne peut alors pas être caractérisée avec une seule échelle, mais en fonction d’autres indicateurs comme la qualité de vie de la personne, son ressenti, etc.

Enfin, la troisième définition indique un continuum homogène distinct. Ici, on reprend l’idée d’un continuum homogène, mais en essayant de le distinguer d’autres troubles, notamment avec l’utilisation du NEO-PI-R pour les traits de personnalité.

Le problème de la première définition, qui est très proche de celle de syndrome, est qu’elle peut entrelacer plusieurs troubles en un car elle ne distingue pas ce qui fait partie de ce trouble de ce qui fait partie d’autres troubles. Dit autrement, Un patient qui « score haut » à une échelle de Beck devrait, selon Beck, être considéré comme dépressif alors qu’il pourrait 1) avoir un trouble plus global ou 2) avoir plusieurs troubles amenant à ces symptômes. Utiliser cette échelle seule ne permet pas de conclure sur la dépression de cette personne. Mais en même temps ça peut être pratique plutôt que de faire passer une énorme batterie de tests.

Dans le cas des continuums homogènes, on va avoir une évaluation plus globale de cette forme-là :

Si ce type de modèle hiérarchique vous parle, c’est normal : c’est le fonctionnement actuel des traits de personnalité, ou des dimensions dans le test de QI. La troisième définition voit les troubles mentaux de cette manière : lesquels se ressemblent le plus et comment les distinguer ? Quels seraient alors leurs construits de plus haut niveau ?

Si les auteurs veulent attirer l’attention sur le fait que ces trois définitions coexistent, ils ne disent pas qu’une définition est meilleure qu’une autre. Définir ce qu’est un trouble mental est complexe et aucune définition n’est fausse en tant que telle. Par exemple, lequel de ces modèles de la dépression est correct ?

Le modèle réflexif (de gauche) dit que la dépression cause des symptômes comme la tristesse, les risques suicidaires, le manque de sommeil et les remords. On le voit aux flèches.

Le modèle formatif (le milieu) dit que la dépression est un trouble qui comprend un mélange de tristesse, les risques suicidaires, le manque de sommeil et des remords qui vont s’influencer les uns les autres. On le voit au manque de flèche avec la dépression et les inter-flèches entre les symptômes.

Le modèle en réseaux dit que la dépression est composé des relations entre un mélange de tristesse, les risques suicidaires, le manque de sommeil et des remords. On le voit à la force des lignes entre les symptômes.

Et ces modèles sont tous faux vrais jusqu’à un certain point, et ils seront plus ou moins utiles selon la question posée.

Néanmoins, il est important de correctement définir ce qu’est une dimension pour correctement discuter ce qu’est la psychopathologie et les pratiques associées.

Hopwood, C. J., Morey, L. C., & Markon, K. E. (2023). What is a psychopathology dimension? In Clinical Psychology Review (Vol. 106, p. 102356). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2023.102356


Féminisme et misandrie

Contrairement à une croyance populaire (probablement surtout chez les hommes), les femmes féministes ne sont pas nécessairement misandres. Misandre, ça veut dire qui hait les hommes.

À travers 6 études et environ 15 000 femmes se revendiquant féministes ou non, les femmes féministes ont une vue « positive » sur les hommes, et qui n’est pas différente des femmes qui ne se disent pas féministes.

Cette image est issue de l’étude 3 (sur 200 femmes seulement). Les barres sont au-dessus de 0, indiquant des attitudes relativement positives à l’égard des hommes. Il n’y a clairement pas de différences entre les deux groupes.

Le mythe de la misandrie ne tient donc pas.

Source : Hopkins-Doyle, A., Petterson, A. L., Leach, S., Zibell, H., Chobthamkit, P., Binti Abdul Rahim, S., Blake, J., Bosco, C., Cherrie-Rees, K., Beadle, A., Cock, V., Greer, H., Jankowska, A., Macdonald, K., Scott English, A., Wai Lan YEUNG, V., Asano, R., Beattie, P., Bernardo, A. B. I., … Sutton, R. M. (2023). The Misandry Myth: An Inaccurate Stereotype About Feminists’ Attitudes Toward Men. In Psychology of Women Quarterly (Vol. 48, Issue 1, pp. 8–37). SAGE Publications. https://doi.org/10.1177/03616843231202708


L’image qui fait réfléchir

L’université est un ensemble de personnes s’envoyant par e-mail « désolé pour ma réponse tardive » jusqu’à ce que l’une d’entre elles ait enfin un poste permanent.


Veille en psychologie clinique

Dans cette partie, je vous propose deux critiques détaillées d’articles scientifiques spécifiques de la psychologie clinique. Aujourd’hui, le premier article porte la création de la première échelle de qualité de vie liée au syndrome prémenstruel, le second tente de répondre à la question : les personnes avec plus de symptômes ont-elles moins de chance d’aller mieux avec une psychothérapie que celles avec moins de symptômes ?

La création d’une échelle de qualité de vie liée au syndrome prémenstruel

Une équipe de recherche Turque s’est intéressé au développement et la validation en anglais d’une échelle de la qualité de vie associée au syndrome prémenstruel.

Les chercheurs rappellent qu’entre 8 et 20 % des femmes souffrent de syndrome prémenstruel, qu’environ 80.7 % des femmes souffrant de syndrome prémenstruel ne sont pas productives au travail et 13.8 % doivent s’absenter du travail durant leurs menstruations (Loukzadeh et al., 2024).

Dans une première phase, les chercheurs vont créer les items à travers des questionnaires semi-structurés et des entretiens, les tester dans une deuxième phase et les valider dans une troisième phase. Ils ont créé 28 items sous la forme d’échelle de Likert de 1 à 5.

Les chercheurs disent ensuite qu’avoir 200 participants est correct, 300 bien, et 500 très bien, décidant ensuite sans plus d’arguments avoir sélectionné dans leur étude 260 jeunes femmes. Ces femmes étaient des étudiantes universitaires et leurs connaissances recrutées avec la technique d’échantillonnage par boule de neige. La méthode d’échantillonnage par boule de neige est le fait de demander aux participants de partager le questionnaire avec leurs connaissances. Elle est considérée comme la méthode d’échantillonnage la plus mauvaise, car elle biaise l’échantillon en le rendant hautement non généralisable au-delà de l’échantillon – les étudiants universitaires et leur famille. En phase 3 de validation, ils ont également validé l’échelle sur 275 étudiantes universitaires d’une université turque ayant indiqué avoir un syndrome prémenstruel. Après exclusion, seulement 212 étudiantes ont été retenues.

À ce propos, page 9, concernant l’analyse, elle est écrite en turque et n’a pas été traduite en anglais.

Les chercheurs ont indiqué avoir retiré 5 items, pour un total de 22. Les voici :

À retenir :

Un essai a été conduit pour créer une échelle sur la qualité de vie associée au syndrome prémenstruel.

Malgré l’avancée potentielle, cette échelle ne semble pas du tout être de qualité, tant au niveau du manque de participants que de la généralisation de l’échantillon. Il n’est même pas explicité si l’échelle a été passée en anglais ou en turc.

Notation :

L’article est de très mauvaise qualité. Les données, comme le script d’analyse, ne sont pas disponibles. Les analyses sont suspectes ainsi que la passation. La méthode d’échantillonnage est problématique. En discussion, les chercheurs parlent du lien entre difficulté d’être en couple, statut socio-économique et syndrome prémenstruel, négligeant le fait que leurs participantes ont 21 ans en moyenne et sont toutes étudiantes, donc du même status socioéconomique. Les problèmes de l’échelle ne sont eux, pas discutés.

Source : HadaviBavili, P., & İlçioğlu, K. (2024). Premenstrual syndrome and lifestyle: Development and validity of a Premenstrual Syndrome Quality-Of-Life Scale. In Journal of Affective Disorders (Vol. 362, pp. 209–216). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.jad.2024.06.096


Les personnes avec plus de symptômes ont-elles moins de chance d’aller mieux avec une psychothérapie que celles avec moins de symptômes ?

C’est la question que se pose l’étude portant sur 1375 patients adultes atteints de diverses formes de trouble mental. Ils ont été classés comme étant rétablis (28 %) ou non (72 %) après avoir fait un séjour dans un hôpital psychiatrique. Le rétablissement a été défini comme une amélioration cliniquement significative du trouble par rapport à l’admission. Les chercheurs ont estimé le réseau des symptômes transdiagnostics au moment de l’admission pour savoir si, en ayant plus de symptômes, on avait moins de chance d’être rétabli.

Les chercheurs ont utilisé un jeu de données de patients datant de 2009, sélectionnant uniquement les participants ayant des troubles importants à l’admission.

Pour l’intensité de l’affectation, les chercheurs ont utilisé l’échelle KPD-38 qui, il me semble, n’est pas validée en français. C’est un questionnaire en autoévaluation qui mesure la déficience psychologique générale. Il comprend 38 articles notés sur une échelle de Likert à 4 points de 1 à 4. Il évalue le domaine physique, psychologique et social de la santé, ainsi que les ressources et la satisfaction générale à l'égard de la vie.

 Le « réseau de symptômes » est le score à 28 des 38 items du KPD-38 (les 10 restantes sont les items de satisfaction de vie).

 Ils ont également utilisé une évaluation par les psychiatres, le score de déficience. C’est une évaluation par un expert de la gravité d'un trouble mental au cours des 7 derniers jours. La mesure comporte trois dimensions : déficience physique, déficience psychologique et déficience de la communication sociale. Chaque domaine est mesuré par un item noté sur une échelle de Likert à 5 points.

Graphique des résultats. La question que se posent les chercheurs est « y a-t-il plus de lignes dans le groupe qui n’est pas rétabli, à droite, que dans celui qui l’est ? ».

Visuellement, il semble que oui. Cependant, la différence n’est pas significative, ce qui indique que cette différence n’est pas suffisamment surprenante pour rejeter l’idée qu’il n’y a pas de différences.

Les chercheurs ont fait de nombreuses analyses de sensitivité, par exemple en contrôlant pour le nombre d’effets par symptôme, pour la sévérité du symptôme selon l’expert, etc. Aucune de ces analyses n’a modifié le résultat.

Ainsi, contrairement à ce qu’avaient indiqué des études précédentes, dans cet échantillon, il ne semble pas y avoir de lien entre le rétablissement et le réseau de symptômes. Les chercheurs indiquent que comme dans ce cas, il n’y a pas de sélection de troubles mentaux précis ni de participants, leur test est plus conservateur (un test est conservateur quand il limite le risque d’avoir un faux-positif).

Soit la théorie selon laquelle la densité des réseaux de symptômes est fausse, soit il y a un problème de mesure. Les chercheurs pensent qu’il y a un problème avec la manière de mesurer la densité des réseaux, et ne développent pas sur la potentielle falsifiabilité de la théorie.

À retenir :

Dans cette étude, les relations entre les symptômes n’étaient pas en lien avec un moins bon rétablissement après un séjour en hôpital psychiatrique.

Une raison est peut-être qu’aucun lien n'existe entre rétablissement et nombre de symptômes. Une autre serait que l’on mesure mal des réseaux de symptômes.

 Notation :

Il n’a pas été possible de voir si les données ou le script sont en accès libre. Si c’est le cas, ce n’est pas noté dans le manuscrit. L’étude n’est pas pré-enregistrée et concerne des patients provenant d’une étude du début des années 2000. L’implication sur le problème générationnel n’est pas discutée dans l’article. Néanmoins, l’article est un rapport de résultats négatifs ce qui est très rare, il n’est donc pas sujet aux risques de biais de publication. On peut raisonnablement se fier à l’article tout en considérant son manque de généralisation.

Source : Deflorin, H. M., Söker, M. S., Bauer, S., & Moessner, M. (2024). Evaluation of symptom network density as a predictor of treatment outcome of inpatient psychotherapy. In Psychotherapy Research (pp. 1–9). Informa UK Limited. https://doi.org/10.1080/10503307.2024.2365235