Psycho Papers

Une newsletter qui rassemble et vulgarise des études actuelles en psychologie.

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Par Adrien Fillon
6 déc. · 6 mn à lire
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Psycho Papers #25, la newsletter qui embarasse comme l'enfer

Une virgule dans les épinards - Des IA et des épinards - L’insoutenable légèreté de la fiabilité en psychologie- Une bien grosse taille - Pourquoi les primates (y compris les humains) tournent sur eux-mêmes ? - Le négatif fait vendre (sur internet) - Les chirurgiennes sacrifient leur santé

Une virgule dans les épinards

Les épinards sont une excellente source de fer. Tout le monde le sait. Sauf qu’en fait… tout cela ne serait du qu’à une virgule mal placée dans les résultats d’une étude publiée dans les années 30. Cette virgule a fait qu’on a cru pendant longtemps qu’il y avait 10 fois plus de fer dans les épinards que prévu. Ce n’est qu’en 1981 qu’un chercheur s’est rendu compte de l’erreur et a publié une étude pour la débunker… sans beaucoup de succès. En effet, même parmi les chercheurs en nutrition, peu connaissent cette étude et beaucoup croient encore au mythe du fer dans les épinards.

Le pire ? Dans les épinards, il y a autant de fer que dans les autres légumes verts, mais ils contiennent des substances qui inhibent l’absorption du fer par l’intestin. Le contraire du mythe !

Une nouvelle preuve, s’il en était besoin, que la recherche ne se corrige pas et même quand elle se corrige, les corrections sont complètements négligés par les chercheurs et le grand public 😟

Source : https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0306312714535679


Des IA et des épinards

J’ai demandé à consensus.app, un outil pour trouver des résultats scientifiques sur un sujet, si les épinards étaient une bonne source de fer. Voici les réponses :

Le consensus est clair, non ?


L’insoutenable légèreté de la fiabilité en psychologie

Pour savoir si des questions mesurent bien le concept censé être mesuré, on va regarder si les mesures convergent. Par exemple, si je veux mesurer le bonheur d’une personne avec une échelle en 3 questions allant de 1 = pas heureux du tout à 7 = très heureux, il faut, pour que l’échelle fonctionne, que le participant ait répondu soit entre 1 et 3 aux trois questions, soit entre 5 et 7 aux trois questions, sinon les trois questions ne mesurent pas la même chose. C’est ce qu’on appelle la fiabilité d’une échelle.

L’indice de fiabilité la plus utilisée en psychologie est l’Alpha de Cronbach, qui va de 0 à 1. On dit qu’une bonne fiabilité est entre 0.70 et 0.90, pas trop faible pour être sûr qu’on mesure le même concept, mais pas trop élevée pour ne pas avoir des questions qui se ressemblent trop.

Bref, des chercheurs ont collecté les Alpha de Cronbach de 74000 articles et ont découvert qu’il y avait beaucoup plus d’Alphas juste au-dessus de 0.70 qu’entre 0.70 et 0.90 et bizarrement très très peu d’Alpha juste en dessous de 0.70. Tiens, tiens, est ce que les chercheurs ne tricheraient pas avec les chiffres pour un peu arrondir au supérieur ? C’est pas le style pourtant.

On observe un gros gap juste en dessous de 0.7On observe un gros gap juste en dessous de 0.7

https://psyarxiv.com/dm8xn


Une bien grosse taille

Un des indices de taille d’effet les plus utilisés en psychologie est le d de Cohen. Il mesure la différence standardisée entre deux moyennes, par exemple la moyenne à un test entre le groupe expérimental et le groupe contrôle. Le d de Cohen va de moins l’infini à plus l’infini, zéro indiquant pas de différences. On dit en psychologie qu’un effet faible est autour de d = 0.20, moyen d = 0.40 et fort d = 0.60, et on dit également que l’effet moyen en psychologie est autour de d = 0.30 (donc que la psychologie s’intéresse généralement à des effets faibles, ce qui pose problème car pour s’assurer que l’effet existe, il faut de gros échantillons).

Cependant, on observe parfois des tailles d’effet surprenantes liées à un trop faible échantillon, des échelles qui ne marchent pas ou d’autres problèmes qu’ont les scientifiques. Alors, à partir de quelle taille d’effet devrions-nous nous poser la question de “trop gros pour être vrai” ?

Et c’est là qu’entre en piste une étude extrêmement importante pour nous, celle qui a demandé aux participants d’indiquer ce qu’ils préféraient entre du chocolat et du caca.

Et bien aussi surprenant que cela soit, les participants ont très largement préféré le chocolat, la taille d’effet étant de d = 4.52. Ainsi, on peut peut-être se dire que c’est un seuil maximal pour une taille d’effet en psychologie ?

https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0956797609356283


Pourquoi les primates (y compris les humains) tournent sur eux-mêmes ?

Parce que ça modifie leur perception et leurs états mentaux, ce qui leur procure du plaisir. C’est la même raison qui les pousse à manger de la nourriture fermentée (se murger la tronche quoi).

https://www.scientificamerican.com/article/why-primates-including-humans-love-to-spin-ourselves-around-until-we-all-fall-down/


Le négatif fait vendre (sur internet)

Deux équipes de recherche ont soumis un article presque identique en même temps au journal Nature Human Behavior.

Je dis bien le même article, car ils ont utilisé la même base de données et sont arrivés à des conclusions quasiment identiques.

Les données proviennent du site upworthy.com, un journal d’information qui a mené pendant des années des tests de type A/B, c'est-à-dire des tests sur des articles de blogs avec des titres positifs et négatifs.

Donc, pour une histoire sur la Cour suprême annulant la proposition 8, qui interdisait le mariage gay en Californie, deux titres possibles étaient "Wow, la Cour suprême a rendu des millions d'Américains très heureux" et "Les Américains regarderont en arrière dans 10 ans et seront embarrassés comme l'enfer que cette époque ait même existé.” Ils ont testé 105 000 titres comme ça.

Pour les résultats, ils sont assez parlants. Le Graphique A montre que le meilleur prédicteur d’un titre sur lequel on clique le fait qu’il soit long et négatif. Un titre positif réduit les chances de clic par rapport au neutre. On le voit car le rond est sur le côté gauche de 0. Le Graphique B et C montrent que plus il y a de mots positifs dans un titre, moins il y a de chances de cliquer dessus, plus il y a de mots négatifs, plus il y a de chances de cliquer dessus.

Du coup, vous avez cliqué sur la newsletter à cause du titre ?

https://doi.org/10.1038/s41562-023-01538-4


Les chirurgiennes sacrifient leur santé

Un questionnaire passé auprès de 692 chirurgiennes américaines indique que 42% d’entre elles ont fait une fausse couche, ce taux étant plus du double de celui de la population générale.

Un quart des médecins femmes américaines sont diagnostiquées comme infertile, ce qui est également le double de la population générale.

Les raisons évoquées dans le questionnaire sont le stress au travail, les longues heures debout, la privation de sommeil et les longues années d’étude avant d’avoir une stabilité financière pour penser à avoir un enfant.

Source: https://archive.is/oyiiC


L’image qui fait réfléchir

Taux de suicide par pays entre 20 et 29 ans, par 100 000 habitants. Les pays nommés en roue sont les seuls pour lesquels il y a plus de suicide chez les femmes que chez les hommes.Taux de suicide par pays entre 20 et 29 ans, par 100 000 habitants. Les pays nommés en roue sont les seuls pour lesquels il y a plus de suicide chez les femmes que chez les hommes.


La partie qui debunk

Puisque les “questions des abonnés” ne sont pas légions, j’ai décidé de modifier ce passage pour parler du debunk d’articles. N’hésitez donc pas à m’envoyer, ici ou sur instagram ou sur linkedin ou par pigeon voyageur, des articles à débunk. Notez que si vous m’envoyez des billets de blogs ou des publications instagram, il faudra obligatoirement qu’ils possèdent une source. Ce qui s’affirme sans preuve peut être rejeté sans preuve. Alors, envoyez-moi du croustillant !

Trop de sommeil néfaste ? Maintenir un équilibre.

On doit ce titre bien anxiogène à Arnault Pfersdoff, pédiatre attitré de la maison des maternelles. Il met en source un billet de blog de pédiatre-online comme suit : https://www.pediatre-online.fr/grossesse/grossesse-role-cle-sommeil-maternel-sante-neonatale/

Plusieurs phrases importantes sont à retenir dans ce billet de blog. La première est “En synthèse, si l’on en croit ces résultats, dormir plus de 9 heures d’affilée par nuit pendant la grossesse pourrait être un signal d’alarme prédictif de ce risque de mortinaissance tardive.” Parler de signe d’alarme, ce n’est pas la même chose que de dire que dormir trop est néfaste.

Il est également dit “ L’association s’avère d’ailleurs indépendantes des autres facteurs de risque.” et je ne suis pas d’accord, ce que je vais développer.

En somme, dans l’article en source, il est dit qu’il y aurait une association entre la mortinatalité (en anglais stillbirth) et le fait de dormir plus de neuf heures pendant la grossesse.

Ils ont demandé à 153 femmes ayant eu un enfant mort-né et 480 femmes dans un groupe contrôle, combien de temps, elles dormaient et quelle était leur position de sommeil. Notons que le questionnaire a été passé dans le mois suivant l’accouchement.

Si on regarde le tableau 1 dont j’ai fait une capture partielle ci-dessous, on s’aperçoit qu’en pourcentage, les femmes ayant perdu leur enfant à la naissance ont beaucoup plus de problèmes de santé que le groupe contrôle

Dans le groupe Stillbirth, 11.8% des femmes avaient du diabète (comparé à 5.8% dans le groupe contrôle), 13.1% fumaient (8.5% dans le groupe contrôle), 19.6% prenaient des médicaments toutes les semaines (26.5% dans le groupe contrôle). Elles sont donc plus à risque et pourtant sont moins médicamentées.

La question de l’alcool n’est pas un bon indicateur, car ils ont agrégé ensemble les “j’ai bu une à deux fois durant la grossesse” et les “j’ai bu tous les jours” ce qui n’est pas représentatif.

On voit bien que les deux groupes ne sont pas équivalents en termes de risque de mortalité à travers les caractéristiques de la mère. Les femmes ayant eu un stillbirth avaient plus de problèmes de santé et étaient moins bien soignées avant et pendant la grossesse.

Et concernant le sommeil ?

Si on prend le tableau 2, on regarde que deux lignes avec une petite étoile sur 9 tests effectués. Il n’existe que deux différences “significatives” : le groupe stillbirth dormait en moyenne le dernier mois de grossesse 7.9 heures et le groupe contrôle 7.5h (et 9.5h par 24h comparé à 9.1h pour le groupe contrôle).

On arrive donc à se poser une question importante : Que le résultat soit significatif ou pas, est ce qu’une différence de 40 minutes en moyenne peut être appelée un “signal d’alarme”? Parce que ce qui n’a pas été testé ici, c’est la différence de sommeil pour chaque personne chaque jour. Moi, je peux dormir plus ou moins 40 minutes selon les jours, en fonction du programme télé, de ce que j’ai mangé, du fait d’être sorti chez des amis ou de devoir me lever tôt pour aller travailler etc.

Et même plus important, il faut noter que l’étude ne mesure pas le sommeil, mais l’impression qu’ont eues les femmes de leur sommeil le mois précédent, sahcant qu’entre temps il y en a qui ont perdu un bébé et on sait que le traumatisme altère forcement la mémorisation.

Du point de vue de l’étude, on peut remarquer les faiblesses de la mesure, le nombre extrêmement limité de participants, et l’absence de graphiques pour visualiser les données.

Cependant pour le billet de blog, on est sur un cas typique de “corrélation n’est pas causalité”

S’il peut y avoir un lien entre dormir longtemps et mortinatalité, ce lien n’est évidemment pas causal : avoir du diabète, être mal soigné, être fumeur compulsif, en surpoids, les facteurs multiples peuvent être les causes à la fois de la difficulté à dormir et de la mortinatalité. Ainsi ce n’est pas “trop dormir” qui serait néfaste, mais un problème néfaste qui empêche de dormir.

Je dis bien “serait” car même comme cela, il faudrait prouver que cette différence de 40 minutes entre les groupes est une réelle différence dans la régularité du sommeil de chaque participant, ce qui n’a pas été fait dans cette étude.

L’ensemble de ces limitations posent question de l’intérêt d’un appel à la peur sur Instagram.


La fin que vous ne lirez pas de toute façon

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Petite recommandation du film “avant que les flammes ne s’éteignent” au cinéma, dont le sujet est “Suite à la mort de son petit frère lors d’une interpellation de police, Malika se lance dans un combat judiciaire afin qu’un procès ait lieu. Mais sa quête de vérité met en péril l’équilibre de sa famille.” Foncez.

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