Psycho Papers

Une newsletter qui rassemble et vulgarise des études actuelles en psychologie.

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Par Adrien Fillon
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Psycho Papers #43 - la newsletter qui produit du dioxyde de carbone.

La force de l’habitude - Les profits cachés du milieu médical - Comment ça va ? Olala c’est compliqué je suis sous l’eau ! - Fumer du cannabis n’est pas si mauvais ? - Pourquoi les manuels de psychothérapie devraient être gratuits - Que mesure-t-on réellement dans les tests internationaux comme PISA ? - L’exercice physique et la dépression (encore)

La force de l’habitude.

En psychologie, on dit souvent que le meilleur prédicteur d’un comportement, c’est le fait de l’avoir déjà fait. On suppose qu’il existerait un trait pour lequel les individus sont plus ou moins susceptibles de garder leur comportement. D’ailleurs, ce trait pourrait expliquer le développement des addictions ou des tocs.

Par conséquent, la plupart des chercheurs n'ont utilisé qu'une seule tâche spécifique pour évaluer le comportement habituel en laboratoire et ont supposé que leurs résultats parlaient des habitudes en général. Sauf qu’une nouvelle étude montre qu’en fait, pas du tout.

Au total, les chercheurs ont inclut six tâches d'habitude différentes et trois questionnaires. En examinant les associations entre les tâches, ils n’ont pas trouvé d'associations substantielles entre les tâches ou entre les tâches et les questionnaires (tous r ≤.2).

Cette étude questionne les études précédentes faites sur la mesure des habitudes en laboratoire. Ouille.

Source: Nebe, S., Kretzschmar, A., Brandt, M. C., & Tobler, P. N. (2024). Characterizing Human Habits in the Lab. In S. Field (Ed.), Collabra: Psychology (Vol. 10, Issue 1). University of California Press. https://doi.org/10.1525/collabra.92949


Les profits cachés du milieu médical.

Aux USA, mais comme tout ce qui est bien, il y’y a pas de raison que ça ne s’exporte pas, les entreprises du milieu médical sont très pauvres, toujours au bord de la faillite et doivent réduire leurs dépenses au maximum. Pourtant, c’est un milieu qui semble très lucratif. En fait, les entreprises arrivent à cacher les profits en créant de nombreuses sociétés connectées. Par exemple, une clinique privée va externaliser ses ressources humaines, ses approvisionnements, la gestion du patrimoine etc. Cela leur permet d’indiquer qu’elles ne sont pas ou peu rentables alors que le profit est détenu par d’autres entreprises.

On estime que ce type de magouille permet de cacher environ 63% du profit du secteur médical. Autrement dit, à chaque fois qu’un Américain paye 1$, la clinique privée indique à l’État n’avoir gagné que 37 centimes, ce qui la fait paraitre beaucoup plus pauvre qu’elle ne l’est réellement.

Source : Gandhi, A., & Olenski, A. (2024). Tunneling and Hidden Profits in Health Care. National Bureau of Economic Research. https://doi.org/10.3386/w32258


Comment ça va ? Olala c’est compliqué je suis sous l’eau !

Une double peine pour les personnes qui se plaignent de leur stress au travail : à travers deux études, des chercheurs ont trouvé que les personnes qui se plaignent le plus de leurs difficultés au travail sont aussi celles les moins populaires. Elles sont jugées moins compétentes, moins chaleureuses, et sont plus à risque de burn-out, tout en réduisant leurs chances d’obtenir une promotion.

Les auteurs indiquent qu’il est nécessaire de modifier la structure du travail pour prendre en compte tous les facteurs, le stress, la motivation, l’engagement, la promotion, etc. en compte pour comprendre les employés plutôt que chaque facteur individuellement.

Source: Rodell, J. B., Shanklin, B. C., & Frank, E. L. (2024). “I’m so stressed!”: The relational consequences of stress bragging. In Personnel Psychology. Wiley. https://doi.org/10.1111/peps.12645


Fumer du cannabis n’est pas si mauvais ?

Environ 200 millions de personnes consomment du cannabis chaque année, et une proportion importante d'entre elles en consomment de manière chronique. Les chercheurs ont demandé à 260 utilisateurs chroniques de décrire leurs expériences, en particulier sur les émotions, la motivation, l'effort et l'autorégulation dans la vie quotidienne. Ils ont été interrogés 5 fois par jour pendant 7 jours (3 701 observations) pour évaluer les effets immédiats de la prise de cannabis et les effets à plus long terme. La prise de cannabis était associée à plus d'émotions positives et moins d'émotions négatives au moment de la consommation.

Contrairement aux stéréotypes, il y avait très peu de lien avec la motivation ou la volonté objective de faire des efforts, même s’il a été observé une corrélation avec une conscienciosité plus faible (mais baisse-t-on la conscienciosité en fumant ou est-ce que les personnes moins consciencieuses ont plus de chance de fumer?).

Étonnamment, il n'y avait aucune preuve d’effets secondaires du genre gueule de bois après fumer. Par rapport aux consommateurs moins fréquents, les consommateurs très fréquents ont manifesté plus d'émotions négatives en général, mais ils étaient plus motivés (en général aussi). Ils ont également signalé moins de maîtrise de soi et de volonté.

Les chercheurs concluent que cet article permet de faire évoluer les attitudes à l'égard du cannabis, en particulier vis-à-vis d’une consommation chronique.

Source: Inzlicht, M., Sparrow-Mungal, T. B., & Depow, G. J. (2024). Chronic Cannabis Use in Everyday Life: Emotional, Motivational, and Self-Regulatory Effects of Frequently Getting High. In Social Psychological and Personality Science. SAGE Publications. https://doi.org/10.1177/19485506241245744


Pourquoi les manuels de psychothérapie devraient être gratuits

Cet article est largement traduit de l’article original et ma contribution est minimale.

Plus de 80 % des près d'un milliard de personnes atteintes de troubles mentaux vivent dans des pays à revenu faible. La majorité de ces personnes n'ont que très peu ou pas d'accès à des traitements fondés sur des données probantes. Cependant, les traitements de haute qualité, rigoureusement évalués et efficaces, exigent que le matériel nécessaire soit disponible librement ou à un prix abordable ; comme, par exemple, pour les médicaments figurant sur la liste des médicaments essentiels.

 Malheureusement, pour ce qui est de la psychologie, l’accès aux manuels de thérapies est difficile à obtenir. De nombreux manuels de psychothérapie ne sont pas disponibles gratuitement. À travers l’analyse de 19 interventions en psychologie qui ont déclaré avoir utilisé un manuel psychothérapeutique, seulement huit ont correctement déclaré l’utilisation d’un manuel dans la section référence et six de ces huit références étaient des manuels génériques adaptés pour être utilisés dans un contexte ou une population spécifique.

La mise à disposition gratuite de manuels d'interventions psychologiques est également essentielle pour améliorer la recherche sur les traitements psychologiques. Un manuel décrit les techniques psychologiques utilisées et des éléments tels que la durée des séances et les détails spécifiques du contenu des interventions. Dans la plupart des articles de recherche d'essais cliniques randomisés d'interventions psychologiques, seules de très brèves descriptions des interventions psychologiques sont données. Ces descriptions sont généralement insuffisantes pour mettre en œuvre l'intervention, comprendre avec précision l'intervention, interpréter les résultats des études dans des méta-analyses afin d'identifier les ingrédients actifs et les mécanismes, et reproduire l'étude. Le fait de ne pas savoir précisément ce qui a été fait limite considérablement notre capacité d'évaluer les articles individuels et de synthétiser les preuves.

Ainsi, les bons manuels doivent fournir des informations sur les qualifications et le niveau d'expérience requis pour que les cliniciens puissent effectuer l'intervention, la formation que les cliniciens doivent avoir avant de pouvoir réaliser l'intervention, et d'autres critères de qualité nécessaires, tels que la certification et la supervision lors de la réalisation de l'intervention.

De nombreuses interventions psychologiques sont la propriété des développeurs qui détiennent les droits d'auteur des manuels et du matériel et qui ne veulent pas perdre de revenus ou d'autres opportunités en les rendant disponibles gratuitement en ligne. Cependant, les manuels et les travaux scientifiques associés sont souvent financés par des fonds publics. Un bon modèle est le Problem Management Plus. Cette brève intervention a été élaborée et testée par l'OMS. Le modèle a été mis gratuitement en ligne en 2016, immédiatement après le succès de deux essais randomisés, et a depuis été téléchargé plus de 350 000 fois. L'accès gratuit au manuel a donné lieu à de nombreux essais de réplication indépendants dans le monde entier.

À l'heure actuelle, trop peu de manuels sont disponibles gratuitement, et une action coordonnée des chercheurs, des personnes ayant une expérience dans le domaine, des éditeurs en chef de revues et des bailleurs de fonds est cruciale pour résoudre ce problème et s'assurer que tout est fait pour rendre des soins efficaces disponibles pour ceux qui en ont besoin.

Source : Cuijpers, P., Boyce, N., & van Ommeren, M. (2024). Why treatment manuals of psychological interventions should be freely available. In The Lancet Psychiatry (Vol. 11, Issue 5, pp. 325–326). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/s2215-0366(24)00071-3


Que mesure-t-on réellement dans les tests internationaux comme PISA ?

Les tests PISA sont des tests standardisés qui mesurent les compétences des élèves. PISA signifie Programme international pour le suivi des acquis des élèves.

Certains chercheurs ont avancé l’idée que les tests internationaux permettaient de mesurer le QI, étant donné qu’il existe une forte corrélation entre le QI et le résultat à ces tests. Corrélation serait-elle causalité ? Et bien non. Cette corrélation n’est forte que dans les pays riches, elle est moins importante dans les pays émergents ou pauvres.

Ces tests mesurent les différences d’apprentissage entre individus et peuvent également permettre de mesurer les différences d’apprentissage entre pays, en fonction de l’éducation scolaire et de l’environnement culturel et social. C’est d’ailleurs ce pour quoi ils ont été créés. Ils ne peuvent en aucun cas mesurer l’intelligence.

Source : Rutkowski, L., Rutkowski, D., & Thompson, G. (2024). What are we measuring in international assessments? Learning? Probably. Intelligence? Not likely. In Learning and Individual Differences (Vol. 110, p. 102421). Elsevier BV. https://doi.org/10.1016/j.lindif.2024.102421


L’exercice physique et la dépression (encore)

Une sempiternelle nouvelle méta-analyse indique que le sport, c’est formidable contre la dépression. Si je vous en parle, c’est que j’ai déjà, a plusieurs reprises dans cette newsletter, discuté de ces sujets. Par exemple dans la neuf et la dix-sept.

Bref, selon cette méta-analyse, le top, c’est la marche et la TCC. Peut-être même que faire de la TCC en marchant augmenterait l’effet, je sais pas, faut faire un business plan.

À l’inverse, dans cette méta-analyse, il n’y avait pas d’effet des antidépresseurs. En conclusion, faites du sport, ne prenez pas de médicaments.

Source : https://doi.org/10.1136/bmj-2023-075847

Vous y avez cru ?

Bien sûr que si je vous en parle, c’est parce que cette étude est foireuse du début à la fin. Deux chercheurs (@cremieuxrecueil et @literalbanana sur X) nous expliquent :

L’étude avec le score le plus élevé est Wadden et al. 2014 avec une taille d’effet de diférence de moyenne = 11. c’est excessivement énorme. En comparaison, une taille d’effet de 4 est la différence entre la préférence pour manger des sucreries plutôt que des défécations (ce qui est un seuil important pour de la plus grosse taille d’effet en psychologie). Une taille d’effet supérieure à 4 est invraisemblable, une taille d’effet de 11 est juste impossible. Et vous savez quoi ?

Il n’y a aucune étude « Waddens et al. 2014 » qui existe. aie.

En regardant les autres études incluses, il est très difficile de comprendre comment les auteurs ont codé les tailles d’effet. La plupart sont beaucoup plus grosses que celles des études initiales.

Mois de 5 % des études incluses étaient à faible risque de biais (70 % étaient à fort risque de biais, ce qui est impressionnant). Sur ces études de qualité, la taille d’effet était de ... 0.

Par exemple, une des tailles d’effet « normales » porte sur une intervention de danse. Sauf que une fois qu’on regarde le papier en détail, sur les 72 sujets de l’expérimentation, 60 ont refusé de danser, ce qui amène à 12 le nombre de sujets inclus,,, avec une taille d’effet positive. Ben oui, la danse ça fonctionne contre la dépression, mais que chez ceux qui acceptent de danser.

Notons que les chercheurs ont mis un seuil de dépression à un score de 5 (sur 10). Le score moyen chez les personnes « dépressives » est de 5,8 et 5,9, celq signifie au’ils ont inclus des personnes qui sont dépressives juste ce qu’il faut pour être inclus.

Ça et beaucoup d’autres problèmes ici : https://x.com/cremieuxrecueil/status/1767020308622430245

Notez que si l’’étude a été “corrigée”, les corrections portent sur des points mineurs et pas du tout sur les problèmes mentionnés ci-dessus. (lien vers la correction : https://www.bmj.com/content/385/bmj.q1024)


L’image qui fait réfléchir

As-tu une journée productive ? Oui ! j’ai produit du dioxyde de carbone.

Quoi d’autre ?
Un poil de méthane.

@Cyanide and happinness


Veille en psychologie clinique

Dans cette partie, je vous propose deux critiques détaillées d’articles scientifiques spécifiques de la psychologie clinique. Aujourd’hui, le premier article porte les outils TCC contre les TOC via internet, le second sur le lien entre dissociation et TSPT.

TCC sur internet contre les TOC

Une méta-analyse s'intéresse à l'efficacité des outils internet pour lutter contre les TOCs.

Ces outils fonctionnent typiquement avec une progression dans des leçons structurées ou des modules qui délivrent les principes et les techniques de la TCC que l'on retrouve dans les thérapies en face-à-face. Ces modules peuvent être guidés par un clinicien (par vidéo) ou faits seuls. Les chercheurs ont trouvé 9 études comparant l'utilisation de TCC via des programmes internet versus une TCC classique en face-à-face. les auteurs indiquent que la majorité des études ont de faibles risques de biais.

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